L'identification d'enfants bilingues avec Trouble Spécifique du Langage en France
Laetitia de Almeida, Sandrine Ferré, Eléonore Morin, Philippe Prévost, Christophe dos SANTOS, Laurie Tuller & Rasha Zebib
Université François-Rabelais de Tours & INSERM U 930 "Imagerie et cerveau" laetitia.dealmeida@univ-tours.fr
Résumé. Dans cet article, nous rendons compte de l'utilisation de trois tâches dites LITMUS (Language Impairment Testing in Multilingual Settings) pour distinguer des enfants bilingues avec trouble spécifique du langage oral (TSL) et des enfants bilingues à développement typique (DT) en France, notamment une tâche de répétition de non mots (LITMUS-NWR-French), une tâche de répétition de phrases (LITMUS-SR-French), ainsi qu'un questionnaire parental (LITMUS-PABIQ). Les 82 enfants bilingues évalués, âgés de 5 à 8 ans, étaient exposés au français et soit à l'arabe, au portugais ou au turc. Ils ont été recrutés à travers des établissements scolaires et des cabinets d'orthophonie puis divisés en deux groupes à partir des informations obtenues à travers le questionnaire parental ainsi que de leurs scores à des épreuves langagières standardisés dans leurs deux langues. Nous avons ainsi obtenu un groupe d'enfants bilingues à développement typique (Bi-DT, n = 61) et un groupe d'enfants bilingues avec TSL (Bi-TSL, n = 21). Des enfants monolingues appariés en âge et servant de groupes témoins ont également participé à cette étude : 17 enfants avec TSL et 38 avec DT. Les enfants du groupe Bi-DT ont obtenu des résultats significativement supérieurs à ceux du groupe Bi-TSL à chacune des tâches de répétition. La même tendance a été observée pour les groupes Mo-TD et Mo-TSL. De plus, différents facteurs extra-linguistiques liés au contexte d'apprentissage des enfants bilingues n'ont eu qu'un impact minime sur la performance à ces épreuves.
Abstract. We report on the usefulness of three LITMUS tools in distinguishing bilingual children with SLI (Bi-SLI) from bilingual children with typical development (Bi-TD), in France: LITMUS-NWR-FR (nonword repetition), LITMUS-SR-FR (sentence repetition), and LITMUS-PABIQ (parental questionnaire). 82 bilingual children, aged 5-8, who had all been exposed to both French and either Arabic, Portuguese or Turkish, recruited both in ordinary schools and in SLP practices, were divided into Bi-TD (n = 61) and Bi-SLI (n = 21) groups based on parental questionnaire (LITMUS-PABIQ) information and standardized language scores in each language. Monolingual controls included 17 children with SLI and 38 TD children. NWR and SR significantly distinguished between the Mo-TD and the Mo-SLI children and between the Bi-TD and the Bi-SLI children. Moreover, there was minimal impact of different factors related to bilingual development on children's performance.
© The Authors, published by EDP Sciences. This is an open access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License 4.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/).
1 Introduction
Récemment, la littérature a commencé à vouer un intérêt particulier pour les enfants bilingues présentant un Trouble Spécifique du Langage oral (TSL). L'un des défis auxquels font face les chercheurs est celui de savoir si, et de quelle manière, le TSL peut être différencié d'une acquisition typique chez des enfants grandissant dans des contextes bilingues. Plusieurs études rapportent en effet des similarités linguistiques entre des enfants apprenant une seconde langue (L2) et des enfants monolingues avec TSL (Armon-Lotem, 2012 ; Hamann, 2012). Ces deux populations présentent des difficultés dans les mêmes domaines langagiers, notamment, pour la morphosyntaxe en français, le temps verbal, (ex. Paradis & Crago, 2000), les clitiques objets (ex. Paradis, 2004) et le déplacement syntaxique (ex. Prévost, Tuller, Scheidnes, Ferré & Haiden, 2010) et, pour la phonologie, les structures syllabiques complexes (Ferré, Tuller, Sizaret & Barthez, 2012; Rattanasone & Demuth, 2014). Comment est-il donc possible d'établir une différence entre des difficultés dues à un développement L2 typique (et une exposition insuffisante à la langue cible) et des difficultés liées à un TSL ? De plus, la population bilingue est généralement très hétérogène, ce qui rend l'identification de trajectoires développementales typiques très difficile. Plusieurs facteurs susceptibles d'influencer le développement langagier bilingue ont été recensés dans la littérature, dont l'âge de début d'acquisition (qui permet de distinguer les bilingues simultanés, précoces et tardifs), la durée d'exposition, la quantité et la qualité de l'input, l'utilisation des langues et la dominance langagière (Armon-Lotem, Walters & Gargarina, 2011; Chondrogianni & Marinis, 2011; Paradis, 2011; Unsworth et al., 2014). Sur le plan clinique, le problème majeur auquel les orthophonistes font face est que les tests standardisés utilisés lors de l'évaluation du langage ont généralement été normés à partir d'enfants monolingues et non bilingues. Par conséquent, les résultats obtenus par les enfants bilingues sur de tels tests sont particulièrement difficiles à interpréter, et les risques de diagnostiques erronés sont donc élevés. Par ailleurs, on peut s'attendre à ce que les enfants bilingues avec TSL, tout comme les enfants monolingues avec TSL, présentent une variabilité sur le plan de la sévérité de leur trouble ainsi que des domaines langagiers touchés.
De manière à répondre à ces défis, plusieurs instruments LITMUS (Language Impairment Testing in Multilingual Settings) ont été élaborés dans le cadre de l'action COST IS0804 « Language Impairment in a Multilingual Society: Linguistic Patterns and the Road to Assessment » (Armon-Lotem, de Jong, & Meir, 2015). Des outils linguistiques tels que LITMUS-Répétition de Phrases (SR) et LITMUS-Répétition de non mots (NWR) ont été conçus dans le but d'identifier le TSL chez des enfants bilingues en visant des phénomènes linguistiques spécifiques identifiés comme étant particulièrement difficiles pour les enfants avec TSL, par exemple l'enchâssement syntaxique pour SR et les suites consonantiques pour NWR. Jusqu'à présent, les quelques études qui ont testé ces deux instruments LITMUS sur des populations bilingues ont donné des résultats très encourageants, puisque ces outils semblent remplir leur objectif de permettre de distinguer les bilingues avec développement typique (DT) des bilingues avec TSL. Ceci est vrai pour LITMUS-NWR en français (Ferré & dos Santos, 2015; dos Santos & Ferré, sous presse; Tuller et al., 2015) et en turc (Topbas, Kaçar-Kûtûkçû & Kopkalli-Yavuz, 2014) et pour LITMUS-SR en français (Fleckstein, Prévost, Tuller, Sizaret & Zebib, sous presse; Tuller et al., 2015), en russe, en hébreu et en anglais (Armon-Lotem et al., 2011; Marinis & Armon-Lotem, 2015). Cependant, malgré ces résultats prometteurs, LITMUS-NWR et LITMUS-SR n'ont été testés que sur un nombre réduit d'enfants bilingues et avec un nombre réduit de combinaisons de langues chez ces enfants. Par exemple, LITMUS-SR-F(rench) et LITMUS-NWR-F n'ont été testés que sur des enfants bilingues
français-arabe et français-anglais. Par ailleurs, nous ignorons toujours l'impact de différents facteurs inhérents au développement langagier bilingue, tels que ceux mentionnés ci-dessus, sur la performance des enfants bilingues à ces épreuves (Chiat, 2015; Marinis & Armon-Lotem, 2015).
Tenant compte de la réalité clinique en ce qui concerne les procédures d'évaluation, en particulier le fait que l'évaluation du langage est généralement menée exclusivement dans une langue, et étant donné la diversité linguistique de bon nombre de populations bilingues, l'outil d'évaluation idéal devrait permettre de minimiser les effets de la combinaison de langues et des facteurs liés au développement bilingue sur la performance des enfants, de manière à ce que le TSL puisse être correctement identifié chez des enfants bilingues. L'objectif de cette étude est donc double :
(i) tester LITMUS-SR-F et LITMUS-NWR-F sur des enfants avec des combinaisons de langues variées;
(ii) évaluer l'impact de l'exposition aux deux langues, de l'utilisation des deux langues, et d'une éventuelle langue dominante sur la performance des enfants bilingues aux épreuves LITMUS.
Pour répondre à ces objectifs, nous avons recruté des enfants bilingues grandissant en France dans trois communautés linguistiques différentes (arabes, portugais (européen) et turc) et des enfants monolingues français avec et sans TSL. Les différentes langues ont été sélectionnées car elles sont représentatives d'un grand nombre d'enfants issus de l'immigration en France.
2 Méthodologie et participants
2.1 Participants : recrutement et distribution en groupes
Nous avons recruté 137 enfants monolingues et bilingues, âgés entre 5;4 et 8;11 et résidant en France majoritairement dans le cadre de l'ANR BiLaD (ANR-12-FRAL-0014- 01) portant sur l'étude du développement du langage chez l'enfant bilingue. Tous les enfants bilingues possédaient soit l'arabe, le portugais ou le turc comme langue maternelle. Beaucoup de ces enfants étaient nés en France alors que d'autres étaient arrivés dans ce pays pendant leur enfance. Par conséquent, cette étude regroupe des enfants bilingues simultanés et successifs. Dans les deux cas, les enfants avaient bénéficié d'une exposition considérable à la langue du pays d'origine pendant son enfance et, au moment de l'évaluation, tous les enfants bilingues étaient capables de communiquer dans les deux langues évaluées. Trente-sept enfants bilingues parmi les 82 recrutés étaient suivis en orthophonie pour trouble du langage oral, tandis que 45 ne l'étaient pas. Ces derniers ont été recrutés à travers des établissements scolaires ou des associations communautaires alors que les premiers ont été principalement recrutés à travers des orthophonistes de la région Centre exerçant en libéral. Deux groupes d'enfants monolingues ont également été recrutés : 17 avec TSL, à travers le Centre Référence pour les Troubles du Langage et des Apprentissages du Centre Hospitalier Régional Universitaire de Tours et 38 enfants à DT dans des établissements scolaires (cf. tableau 1).
De manière à determiner si les enfants bilingues recrutés à travers des orthophonistes étaient susceptibles d'avoir un TSL et si les enfants recrutés à travers des établissements scolaires étaient susceptibles d'avoir un développement typique, nous avons adopté la procédure suivante. Nous avons évalué tous les enfants bilingues dans chacune de leurs langues à l'aide de tests standardisés, puisque un TSL se manifeste dans les deux langues (Genesee, Paradis & Crago, 2004). En français, nous avons utilisé quatre sous-tests de la batterie N-EEL (Chevrie-Muller & Plaza, 2001) qui évaluent le lexique et la morphossyntaxe du point de vue récptif et expressif, ainsi qu'un sous-test du BILO-3C qui évalue la phonologie (Khomsi, Khomsi, Pasquet & Parbeau-Gueno, 2007). Nous avons essayé de tester ces mêmes modalités et domaines langagiers dans les trois langues maternelles des enfants, en ayant recours à des tests standardisés utilisés par les orthophonistes. Ceci n'a en réalité été totalement possible que pour l'arabe, langue pour laquelle nous avons utilisé une batterie standardisée en libanais (Zebib et al., sous presse), le seul instrument d'évaluation en arabe bénéficiant d'une standardisation. Des adaptations de la version libanaise ont été
enregistrées en Algérien, Libyen, Marocain et Tunisien. Pour le portugais européen, il n'existe, à notre connaissance, aucune batterie standardisée qui évalue toutes les modalités et tous les domaines langagiers cités ci-dessus chez des enfants d'âge scolaire. Nous avons utilisé le test GOL-E (Sua-Kay & Santos, 2014) pour l'évaluation du lexique expressif et réceptif. En ce qui concerne l'évaluation de la morphosyntaxe et de la phonologie, nous avons utilisé un test de répétition de pseudo-mots et de phrases de la batterie Palpa-P (Castro et al., 2007) , bien que la population sur laquelle la standardisation a eu lieu soit très réduite. Pour le turc, nous avons utilisé la batterie TEDIL (Topbas & Guven, 2008), qui évalue les modalités et domaines langagiers ciblés mais qui ne fournit que deux scores globaux, un pour les compétences langagières réceptives et l'autre pour les compétences langagières expressives. Tous les tests ont été administrés par des locuteurs natifs de la langue évaluée.
Puisque, par definition, le TSL n'affecte que le langage, et pas les capacités intellectuelles non verbales, nous avons testé l'intelligence non verbale des enfants, via les Matrices Progressives de Raven (Raven, Court & Raven, 1986). Nous avons inclus tous les enfants dont le score était supérieur au centile 9, ce qui est équivalent à un niveau de QI de 80 dans la classification de Wechsler. Les enfants dont le score était égal ou inférieur au neuvième centile mais dont le score au WISC ou à l'épreuve de Résolution de Problèmes abstraits de l'ECS cycle III (Khomsi, 1998) était normal ont également été inclus. Tous les autres enfants ont été exlus de cette étude.
Enfin, nous avons recueilli des informations sur le langage des enfants grâce à un entretien présentiel avec les parents basé sur un questionnaire parental, le LITMUS-PABIQ (Tuller, 2015), qui aborde le développement langagier précoce de l'enfant, l'âge de contact avec les différentes langues, la quantité et la diversité des contextes d'exposition à chaque langue, l'utilisation des langues au sein de la famille et à l'extérieur de la maison, et les difficultés langagières au sein de la famille. En prenant pour base ces informations, nous avons calculé plusieurs scores, dont l'index de non risque (à partir de l'âge du premier mot et de la première phrase, de l'existence de préoccupation parentale et de la présence de difficultés langagières dans la famille ; voir Tuller, 2015), ainsi qu'un index de dominance linguistique (IDL). Pour ce dernier, nous avons tout d'abord calculé un score d'exposition linguistique dans chaque langue de l'enfant, qui prend en compte l'âge de début de contact (/4), la fréquence de l'exposition précoce à chaque langue (/4), la diversité des contextes précoces d'exposition (/8), la durée d'exposition (/4), l'utilisation actuelle des langues à la maison (/16), l'utilisation actuelle des langues lors de différentes activités et avec les amis (/16) et le nombre d'années dans l'enseignement primaire (/5). Une fois tous ces scores additionnés (/57), nous avons pu calculer un score d'exposition linguistique pour chaque langue. L'IDL pour le français a été obtenu en soustrayant le score d'exposition linguistique dans l'autre langue à celui du français. Les enfants dont l'IDL se situait entre -6 and +6 ont été classés comme « bilingues équilibrés », les enfants dont l'IDL était inférieur à -6 « dominants L1 » et les enfants dont l'IDL était supérieur à +6 « dominants français ». D'après ce calcul, on a pu remarquer que le profil de dominance des enfants était différent selon leur L1, comme le montre la figure 1 : alors que le profil de dominance des enfants bilingues portugais/français est distribué de manière équilibrée (environ un tiers des enfants est dominant L1, dominant français et équilibré), la majorité (n = 16) des enfants arabe/français sont dominants en français et la plupart des enfants turc/français sont dominants L1 (n = 15). Il est à noter que ce dernier groupe inclut le nombre le plus faible d'enfants dominants en français (n = 2).
Figure 1. Nombre d'enfants dominants Ll, dominants français et bilingues équilibrés pour chaque combinaison linguistique
| Dominant L1 J Equilibré Dominant français
Bilingues portugais/français
Bilingues arabe/français
Bilingues turc/français
Suivant la proposition de Thordardottir (2015), nous avons appliqué des seuils pour l'identification du TSL chez les enfants bilingues lorsque des normes monolingues sont utilisées. En fonction du statut de dominance de la langue testée, nous avons adopté les seuils suivants : -1.5 écart-type (ET) lorsqu'un enfant bilingue est testé dans sa langue dominante, -1.75 ET lorsqu'il s'agit d'un enfant bilingue équilibré, et -2.25 ET lorsque l'enfant est testé dans sa langue faible. Le statut de TSL a été attribué aux enfants présentant des scores inférieurs à ces seuils dans deux domaines langagiers dans chaque langue. Pour le lexique, nous n'avons considéré qu'il était affecté que lorsque le score de la modalité réceptive se trouvait sous le seuil pathologique adopté.
Suivant ces critères, nous avons obtenu deux groupes d'enfants bilingues, un qui comprenait les enfants dont le développement langagier semblait typique (Bi-DT), et un qui comprenait les enfants qui semblaient avoir un TSL (Bi-TSL). Il est de noter que, comme résultat de notre procédure, 18 enfants suivis en orthophonie ont été catégorisés Bi-DT et 2 enfants non suivis en orthophonie ont été catégorisés Bi-TSL. Le tableau 1 ci-dessous présente les détails de chaque groupe d'enfants, y compris les monolingues, avec DT (Mo-DT) et avec TSL (Mo-TSL). Un test non paramétrique Kruskal Wallis a révélé que les quatre groupes étaient similaires quant à l'âge (x~ = 6.01 ; p = 0.111 ).
Tableau 1. Participants de l'étude
Bi-DT Bi-TSL Mo-DT Mo-TSL
Ll arabe portugais turc arabe portugais turc français français
N Participants 25 16 20 6 7 8 38 17
N Total 61 21 38 17
Tranche d'âge 5;4 - 8;9 5;4 - 8;11 5;6 - 8;4 6;3 - 8;7
Al d'âge (ET) 6;10 (1;0) 7;10 (1;2) 7;0 (0;10) 7;6 (0;8)
Le tableau 2 rapporte l'information recueillie à travers le questionnaire parental quant à l'exposition linguistique, l'utilisation du français (dans différents contextes), ainsi que le développement précoce (y compris l'âge du premier mot et de la première phrase). Les indices de langue dominante et de non risque y sont également rapportés. Un test non paramétrique de Mann-Whitney a indiqué que les deux groupes d'enfants bilingues étaient comparables en termes de leur exposition au français, à savoir l'âge de contact (U= 603; p =.660) et la durée d'exposition (U = 639; p = .987), en termes de leur utilisation du français à la maison (U = 567; p = .373), ainsi que dans différentes activités avec leurs amis (U = 552; p = .346), et, enfin, en termes de dominance (U = 540; p = .285). En revanche, l'âge du premier mot et de la première phrase était significativement plus élevé chez les enfants du groupe TSL par rapport aux enfants
du groupe DT (respectivement U = 357; p = .005 et U = 344; p = .001). De même, l'indice de non risque était significativement moins élevé dans le groupe Bi-TSL que dans le groupe Bi-DT (U = 301; p < .0001). Ces différences suggèrent fortement que la distribution des enfants dans les groupes Bi-DT et Bi-TSL était globalement valide. De plus, l'absence de différences significatives rapportées ci-dessus suggère que l'inclusion d'enfants dans le groupe TSL n'était pas liée à une exposition au français et à une utilisation du français limitées ou au statut du français en tant que langue dominée.
Tableau 2. Exposition linguistique, utilisation du français, dominance en français et développement précoce des groupes Bi-DT et Bi-TSL (moyenne (ET))_
Bi-DT Bi-TSL
Age de contact (mois) 17 (23) 31 (27)
Durée d'exposition (mois) 65 (22) 67 (20)
Utilisation du français à la maison (/16) 5.7 (2.9) 6.6 (3.6)
Utilisation du français dans des activités avec les amis (/14) 9 (2.8) 9.8 (2.3)
Indice de dominance linguistique en français (-52 à +57) -2.9 (12.3) 1.5 (15.3)
Age du 1er mot (mois) 13 (6) 19 (9)
Age de la 1ere phrase (mois) 20 (8) 31 (14)
Index de non risque (/23) 20.4 (3.8) 15.9 (5.4)
2.2 Le protocole expérimental
Les enfants ont été évalués via un protocole expérimental comprenant des tâches linguistiques et non linguistiques. Les tâches linguistiques comprenaient les deux tâches de répétition, LITMUS-NWR-F et LITMUS-SR-F. L'épreuve LITMUS-NWR-F a été construite en contrôlant notamment la complexité syllabique (Ferré & dos Santos, 2015) pour qu'elle puisse discriminer les enfants avec ou sans TSL, qu'ils soient en contexte de bilinguisme ou non. Concrètement, cette épreuve consiste en la répétition de 71 non mots dont les propriétés phonologiques sont soit partagées par la plupart des langues du monde (partie indépendante de la langue), soit spécifiques au français (partie dépendante de la langue) et à d'autres langues. Les segments utilisés dans cette tâche sont trois voyelles (/a, i, u/) et cinq consonnes (/p, k, f, s, l/), distribués au sein de plusieurs types syllabiques : CV (ex. faku), CCV (ex. kla), #sCV (ex. spu) #sCCV (ex. spli), CVC (ex. kip) et CCVC (ex. fluk) (Chiat, 2005; Ferré & dos Santos, 2015).
La tâche LITMUS-SR-F inclut des types de phrases ayant des propriétés morphosyntaxiques problématiques pour les enfants avec TSL : la morphologie verbale et la complexité syntaxique (impliquant un déplacement ou un enchâssement). Spécifiquement, l'outil contient 30 phrases (plus deux phrases d'entrainement) divisées en cinq types différents : deux types de phrases simples affichant l'ordre canonique du français (SVO) et variant soit en termes de temps verbal (présent vs. passé), soit en termes d'accord en nombre sur le verbe (singulier vs. pluriel), des questions-qu objet incluant soit un opérateur non relié au discours (ex. Qui la maîtresse punit ?), soit un opérateur lié au discours (ex. Quel monsieur le garçon dessine ?), des phrases avec une complétive infinitive (ex. Le papa sait très bien conduire la voiture) ou finie (ex. La dame dit que le garçon a pris le ballon) et des phrases avec une relative sujet (ex. Je vois le chat qui a griffé la vache) ou objet (ex. Tu vois le cheval que le chien a mordu) (Marinis & Armon-Lotem, 2015; Prévost, Tuller & Zebib, 2012). Les deux tâches langagières étaient présentées aux enfants sous la forme de présentations en format PowerPoint avec enregistrement des stimulis audio. Les réponses des enfants ont été enregistrées puis ultérieurement transcrites et codées par des linguistes entrainés.
3 Résultats
Nous présentons tout d'abord les résultats pour les deux tâches LITMUS : les résultats de groupe puis les résultats individuels. Ensuite, nous nous attarderons sur le lien entre la performance à ces épreuves et les informations recueillies à travers le PABIQ.
Les figures 2 et 3 présentent le taux de répétition exacte sur les tâches de NWR et SR. Une différence significative a été observée pour la tâche de NWR entre le groupe Bi-TSL (65.8%) et le groupe Bi-DT (85.2%) (x2 = -36.71; p <.0001), ainsi qu'entre le groupe Mo-TSL (47.9%) et Mo-DT (90.3%) (j2 = -61.49; p < .0001). De la même manière, la performance à la tâche de SR a été significativement plus faible dans le groupe Bi-TSL (44.2%) par rapport au groupe Bi-DT (72.9%) (j2= -33.41; p = .004), ainsi que dans le groupe Mo-TSL (46.9%) par rapport au groupe Mo-DT (91.7%) (j2 = -64.99; p < .0001). On remarquera qu'aucune différence significative n'a été observée entre les groupes Bi-TSL et Mo-TSL, pour les deux tâches. Par contre, pour SR, une différence significative entre les groupes Bi-DT et Mo-DT a été obtenue (j2 = -30.09; p = .001), ce qui n'était pas le cas pour NWR (j2 = -12.37; p = 1.000).
Figure 2. NWR: répétition identique (%) Figure 3. SR: répétition identique (%)
Bi-TSL Bi-DT Mo-TSL Mo-DT Bi-TSL Bi-DT Mo-TSL Mo-DT
Sur le plan individuel, les figures 4 et 5 montrent qu'un seuil de 80% permet d'établir une différence claire entre les deux groupes d'enfants monolingues sur les deux tâches. Pour NWR, seul deux enfants du groupe Mo-DT ont obtenu un score inférieur à 80% et seulement deux enfants du groupe Mo-TSL un score supérieur à ce seuil. Pour cette tâche, la spécificité était donc de 83% (10/12) et la sensibilité de 88% (15/17). Pour SR, la spécificité était de 89% (34/38) et la sensibilité de 94%, puisqu'un seul des 17 enfants du groupe Mo-TSL a obtenu un score supérieur à 80%. Il est à noter que les enfants les plus jeunes du groupe Mo-TD ont eu un score légèrement inférieur à ceux des enfants plus âgés. Cependant, il n'y avait qu'une faible corrélation entre l'âge et le taux de répétition identique à SR sur la totalité de la population (rs = .189; p = .029). Aucune corrélation entre l'âge et NWR n'a été trouvée chez les enfants monolingues : presque tous les enfants du groupe Mo-DT, y compris les plus jeunes, ont obtenu un score de répétition identique supérieur à 80%.
Figure 4. NWR : résultats individuels chez les monolingues (pourcentage de répétition identique)
Figure 5. SR : résultats individuels chez les monolingues (pourcentage de répétition identique)
100 80 60 40 20 0
♦ ♦ ▲ * ▲ >
-r*—,-,
100 80-60 40 20 0
♦ MO-DT à MO-TSL
60 72 84 96 108 Age (mois)
60 72 84 96
Age (mois)
Les deux tâches LITMUS ont également permis d'établir une différence entre les enfants des groupes Bi-TSL et Bi-DT, bien que le degré de superposition entre les deux groupes soit plus élevé que pour les enfants monolingues (Figures 6 et 7). Pour NWR, nous pouvons constater que dans le groupe Bi-TSL, seulement 4 enfants sur 21 ont obtenu des scores de répétition identique inférieurs à un seuil de 80% et que pour le groupe Bi-TD 13 enfants sur 61 ont obtenu des scores inférieurs à ce taux. Selon ce seuil, la spécificité de la tâche de NWR était de 79% (48/61 de Bi-DT identifiés comme tels) et la sensibilité de 81% (17/21 de Bi-TSL identifiés comme tels). Il est à noter que l'enfant avec la durée d'exposition la plus courte (12 mois) a obtenu un score très élevé à cette épreuve (94.4%), ce qui suggère que la durée d'exposition n'a pas eu d'effet sur le taux de répétition identique (voir aussi tableau 3).
Figure 6. NWR : résultats individuels chez les bilingues (pourcentage de répétition identique)
100 80-
60 40 20 0
• Bi-DT À Bi-TSL
12 24 36 48 60 72 84 Durée d'exposition (mois)
96 108
Comme le montre la figure 7, la superposition des taux de répétition identique entre les deux groupes de bilingues a été plus élevée pour SR (voir aussi la figure 3). Ceci est particulièrement vrai pour le groupe Bi-DT, avec 17 enfants ayant un score inférieur à un seuil de 60%, dont 10 bilingues turc-français. Le comportement des enfants du groupe Bi-TSL s'est révélé plus homogène, avec seulement cinq enfants ayant des scores supérieurs à 60%. En prenant en compte ce seuil de 60%, la spécificité de l'épreuve était de 72% et la sensibilité de 76%. On notera que l'enfant avec la durée d'exposition la plus courte (12 mois), a obtenu un score très bas à cette épreuve (20%), bien qu'il ait obtenu un score élevé à NWR,
comme vu ci-dessus, ce qui suggère que sa durée d'exposition au français n'était pas suffisante pour lui permettre de maitriser la morphosyntaxe de cette langue.
Figure 7. SR: résultats individuels chez les bilingues (pourcentage de répétition identique)
100 80 60-
__?_*___•_
M • ^
• Bi-DT À Bi-TSL
12 24 36 48 60 72 84 Durée d'exposition (mois)
96 108
Outre le fait que les deux tâches ont permis de distinguer les deux groupes d'enfants bilingues, les taux de répétition identique étaient significativement corrélés à l'indice de non risque (/23) calculé à partir du questionnaire parental, comme on peut le voir dans la figure 8, qui porte sur NWR (rs = .466, p < .0001), et dans la figure 9, qui porte sur SR (rs = .368, p = .001).
Figure 8. Corrélation entre le taux identique de NWR et l'index de non risque (0-23)
Figure 9. Corrélation entre le taux identique de SR et l'index de non risque (0-23)
• • ••
mm_m—
11 14 17 20 23
11 14 17 20 23
Score Score
En résumé, les deux tâches permettent d'établir une différence significative entre les deux groupes d'enfants bilingues. Nous avons observé une superposition plus élevée entre les deux groupes pour SR que pour NWR pour ce qui est du taux de répétition identique, ce qui est essentiellement dû au fait que certains enfants du groupe Bi-DT ont obtenu des scores faibles à la tâche de SR.
Par ailleurs, des analyses corrélationnelles entre, d'un côté, les taux de répétition exacte à NWR et SR, et, de l'autre côté, les mesures d'exposition au français, d'utilisation du français et de la dominance en français, ont révélé des résultats intéressants (voir le tableau 3). En particulier, nous avons trouvé des corrélations significatives entre le taux de répétition exacte de SR et l'utilisation du français (à la maison ou lors d'activités entre amis), ainsi que l'IDL (calculé à partir de mesures d'exposition linguistique et d'utilisation des langues) pour le groupe Bi-DT mais aucune pour le groupe Bi-TSL. En revanche, aucune corrélation n'a été obtenue pour NWR, dans le groupe Bi-DT comme dans le groupe Bi-TSL. Le fait que la performance des enfants du groupe Bi-DT à SR ait été influencée par l'utilisation des langues et l'exposition linguistique semble pouvoir rendre compte de la variation des scores des enfants de ce
groupe à cette épreuve. Une telle influence n'a pas été obtenue pour NWR chez les enfants Bi-DT, ce qui semble indiquer que le développement phonologique se met en place assez rapidement. Aussi, aucune influence de l'utilisation et de l'exposition linguistique sur la performance à SR n'a été identifiée dans le groupe Bi-TSL, ce qui suggère que la faible performance des enfants de ce groupe à cette épreuve n'était pas liée à des facteurs extra-linguistiques d'acquisition de la L2, mais très certainement à la présence d'un trouble du langage.
Tableau 3. Analyses corrélationelles entre le taux de répétition identique à LITMUS-NWR-F et LITMUS-SR-F et les mesures d'exposition et d'utilisation linguistiques (issues du LITMUS-PABIQ)
Bi-DT Bi-TSL
rs P rs P
LITMUS-NWR-F
Age de contact (français) -.022 .866 .074 .766
Durée d'exposition (français) .107 .411 .091 .701
Utilisation du français à la maison .158 .222 .294 .208
Utilisation du français lors d'activités entre amis .090 .489 .152 .521
Index de dominance linguistique (français) .133 .306 .312 .181
LITMUS-SR-F
Age de contact (français) -.186 .150 .169 .463
Durée d'exposition (français) .196 .130 .153 .508
Utilisation du français à la maison .369 .003 -.118 .609
Utilisation du français lors d'activités entre amis .348 .006 .010 .967
Index de dominance linguistique (français) .496 .000 .055 .814
De manière à mieux appréhender l'impact de l'exposition au français sur la performance à SR et à NWR, nous avons organisé les résultats des enfants à ces épreuves en fonction de leur IDL (Figures 10 et 11)
Figure 10. SR (taux de répétition identique) et index de dominance linguistique
-•—*-•-MB— • A « • • • r%-•-9-m-♦- • • • •
• • • A • m • •
• • • A • A
• • • • •
A • • • •
• • •
• 40 A • A Jo A A
• A A A
• •
• A
-30 -20 -10 0 +10 +20 +30
Dominant L1 Equilibré Dominant Français
Indice de Dominance Linguistique
Comme vu en section 2.1, les enfants étaient soit dominants en français (si leur IDL était supérieur à +6), soit dominants L1 (si leur IDL était inférieur à -6). Les enfants dont l'IDL se situait entre -6 and +6 ont
été considérés équilibrés. Nous pouvons constater, grâce à la figure 10, que presque tous les enfants du groupe Bi-DT classés comme dominants en français ont eu des scores supérieurs à 60% à SR. En revanche, les enfants Bi-DT dominants dans leur L1 ont eu des performances très variables, avec des scores compris entre 3.3% et 100%. Cependant, il est crucial de constater que la moitié de ces enfants (13/26) ont obtenu des scores supérieurs à 60%, ce qui suggère que le fait d'être dominant L1 n'implique pas forcément une faible performance. Nous pouvons également remarquer que parmi les 13 enfants dominants dans leur L1 ayant un score inférieur à 60%, huit étaient bilingues turc/français. Nous reviendrons sur ce point dans la discussion. Par ailleurs, la figure 10 indique que la dominance linguistique n'a pas affecté la performance des enfants du groupe Bi-TSL : les enfants de ce groupe ont généralement obtenus des scores inférieurs à 60%, quelle que soit leur dominance langagière. De fait, les seuls enfants dominants en français ayant obtenus des scores chutés à SR appartiennent au groupe Bi-TSL.
Tout comme nous venons de le voir pour l'épreuve de SR, la performance à la tâche de NWR était indépendante de la langue dominante (voir la figure 11). Cependant, contrairement à ce que l'on a pu observer pour SR, les enfants du groupe Bi-DT avec un IDL inférieur à -6 (dominants L1) ont eu de bonnes performances à NWR (supérieures à 80% de répétition identique). La majorité des enfants avec un score chuté (inférieur au seuil de 80%) appartient au groupe Bi-TSL, et ce indépendament de leur score à l'échelle de dominance linguistique.
Figure 11. NWR (taux de répétition identique) et index de dominance linguistique
« 100 • • • • • • # *t • • : • • • • •
• % • V . ,«.. -99_ • •• • 1 • A 1 00 ••• A • • • A
* 4 . * • * * A t *
• 70 J # 1
• • 00 A # ▲
i i i 0 i i
-m "Sîi o +io +20 +30
Dominant 11 Equilibré Dominant Français
Indice de Dominance Linguistique
4 Discussion
L'objectif de cette étude était d'évaluer l'adéquation de deux instruments LITMUS, LITMUS-NWR-F et LITMUS-SR-F, pour l'évaluation d'enfants bilingues avec TSL. Spécifiquement, nos objectifs étaient de vérifier (i) si les deux tâches permettaient d'établir une différence significative entre des enfants bilingues avec DT et avec TSL grandissant en France dans différents contextes linguistiques, et (ii) si les facteurs d'exposition et d'utilisation linguistique influençaient la performance des enfants. Nous avons pour cela recruté un groupe de 82 enfants bilingues grandissant en France et originaires de trois communautés linguistiques différentes (arabe, portugais et turque) dont certains étaient suivis en orthophonie pour trouble du langage oral. Nous avons distribué les enfants dans un groupe Bi-DT (pour ceux qui semblaient avoir un développement typique du langage) et Bi-TSL (pour ceux qui semblaient avoir un
TSL) à partir de leurs résultats à des outils d'évaluation standardisés dans les deux langues, et après avoir appliqué des seuils adaptés à leur dominance linguistique. A travers cette procédure, nous avons obtenu un groupe de 61 enfants Bi-DT et un groupe de 21 enfants BI-TSL, qui étaient similaires en termes d'âge et de facteurs liés au bilinguisme (ex. âge de contact, durée d'exposition et dominance linguistique en français) et qui ont été comparés entre eux ainsi qu'à des enfants monolingues français par rapport à leurs performances à LITMUS-NWR-F et LITMUS-SR-F.
4.1 La performance à LITMUS-NWR-F et LITMUS-SR-F
Globalement, les deux épreuves de répétition semblent fournir de bons indices pour l'identification du TSL chez les enfants testés : elles permettent d'établir une différence significative entre les enfants avec DT et avec TSL, chez les bilingues et les monolingues. Ce résultat encourageant est en ligne avec des études antérieurement menées sur des enfants monolingues français, ainsi que sur des bilingues anglais/français et arabe/anglais (Ferré & dos Santos, 2015; Fleckstein et al., sous presse; dos Santos & Ferré, sous presse; Tuller et al., 2015). Nos nouvelles données suggèrent qu'il est possible d'établir une distinction entre bilingues avec DT et bilingues avec TSL à l'aide de ces épreuves chez des enfants grandissant en France ayant des combinaisons langagières différentes, notamment des enfants parlant arabe, portugais et turc. Cette affirmation est renforcée par le fait que l'indice de non risque, obtenu à partir du questionnaire parental, est significativement plus bas chez les enfants du groupe Bi-TSL par rapport à celui du groupe Bi-DT. En d'autres termes, la différence significative identifiée quant à la performance à NWR et SR entre les groupes Bi-DT et Bi-TSL que nous avons établie est reflétée dans une différence significative pour l'index de non risque. Ceci suggère fortement que la procédure que nous avons adoptée pour classer les enfants en groupes a été globalement cohérente et adéquate pour la plupart de ces enfants.
En outre, les outils LITMUS-NWR-F et LITMUS-SR-F ont révélé de très bons résultats pour les enfants monolingues, puisque les taux de spécificité et de sensibilité étaient très élevés dans cette population (supérieurs à 80%), ce qui confirme qu'ils permettent d'identifier un trouble du langage. L'efficacité de ce type d'épreuves pour la détection du TSL avait d'ailleurs été précédement rapportée (Conti-Ramsden, Botting & Faragher, 2001), et cette efficacité s'étend maintenant à des épreuves de répétition basées sur des propriétés linguistiques bien ciblées.
Bien que ces outils semblent être prometteurs pour l'identification du trouble du langage chez des enfants bilingues, les résultats individuels ont mis en relief des cas de bonne performance dans le groupe Bi-TSL et de performance chutée dans le groupe Bi-DT. En particulier, les taux de spécificité et de sensibilité des groupes bilingues étaient légèrement inférieurs pour LITMUS-SR-F (72% et 76% respectivement) que pour NWR (autour de 80%). Cette dernière épreuve semble particulièrement efficace pour la distinction d'enfants bilingues avec et sans TSL. Pour ce qui est de la tâche de SR, bien que de manière globale celle-ci permette une bonne identification du TSL, une quantité significative de superposition entre les deux groupes a été observée. Nous pensons que deux facteurs ont contribué à cette variation. Tout d'abord, la procédure que nous avons utilisée pour former les groupes a été très stricte : les enfants devaient avoir des scores chutés dans deux domaines langagiers différents dans chaque langue. Ainsi, de nombreux enfants avec des scores chutés dans un seul domaine langagier ou bien avec des scores chutés dans une langue et des scores bas mais au-dessus du seuil de pathologie dans l'autre langue ont été inclus dans le groupe Bi-DT. Le fait d'observer des scores chutés dans une des langues n'est certainement pas surprenant lorsqu'il s'agit de la langue faible de l'enfant, bien que les seuils pathologiques aient été adaptés en fonction de la dominance. Cependant, neuf enfants ont obtenu des scores chutés dans leur langue dominante mais des scores au-dessus des seuils dans leur langue faible. Ceci signifie que ces enfants ont été inclus dans le groupe Bi-DT grâce à leur performance dans leur langue faible. En d'autres termes, il est possible que plusieurs enfants qui se trouvent dans le groupe Bi-DT auraient dû faire partie du groupe Bi-TSL ou, tout du moins, devraient être considérés de bons candidats pour ce groupe. Ceci expliquerait les scores faibles obtenus par certains enfants du groupe Bi-DT à la tâche de SR. Le deuxième facteur est que, tout comme nous l'avons vu dans la section 2, les instruments d'évaluation disponibles dans les différentes langues maternelles sont loin d'être parfaits. En fait, l'arabe est la seule
langue pour laquelle nous avons pu évaluer les mêmes domaines et modalités langagiers qu'en français. En turc, l'instrument d'évaluation que nous avons utilisé (TEDIL) ne fournit qu'un score global pour la compréhension et un autre pour la production. Il est donc possible qu'un enfant ait de véritables difficultés en syntaxe et en phonologie mais qu'il ait obtenu un score dans la norme en compréhension et en production grâce à une bonne performance en lexique. Ceci, combiné à l'utilisation de seuils adaptés au bilinguisme, pourrait avoir contribué à une sous-identification du TSL chez les enfants bilingues turc/français. Par exemple, quatre de ces enfants faisant partie du groupe Bi-DT ont obtenu des scores très chutés aux deux épreuves LITMUS, y compris deux inférieurs à 60% pour NWR et à 20% pour SR. Il se pourrait donc que le TEDIL ne soit pas adapté à l'évaluation langagière d'enfants turcophones vivant en France. L'identification des enfants bilingues portugais-français avec TSL a également été difficile, notamment à cause de l'absence d'outils disponibles pour l'évaluation du TSL chez des enfants lusophones en âge scolaire. Nous avons fini par utiliser un instrument (Palpa-P) qui fournit essentiellement des résultats qualitatifs plutôts que quantitatifs. Du point de vue qualitatif, les tâches de SR et de NWR de la batterie Palpa-P que nous avons utilisées semblent être de bons outils d'identification du TSL : toutes deux sont corrélées aux sous-tests standardisés évaluant la morphosyntaxe et la phonologie en français (Palpa-P SR et N-EEL-morphosyntaxe en production, rs = .608, p = .002; Palpa-P NWR et BILO-3C (phonologie), rs = .651, p = .001). Ceci laisse penser qu'un enfant bilingue portugais-français aurait des scores équivalents en phonologie et en syntaxe dans ses deux langues, ce qui est attendu. Cependant, du point de vue quantitatif, cette batterie souffre d'une grande lacune : en effet, elle n'a toujours pas été validée pour la population monolingue portugaise et les normes disponibles à ce jour n'ont pour base qu'un nombre très restreint d'enfants. Encore une fois, notre procédure, qui s'est basée sur des scores au-dessous des seuils dans chaque langue, pourrait avoir engendré l'intégration de quelques enfants dans le « mauvais » groupe. En particulier, deux enfants bilingues portugais/français du groupe Bi-TSL ont eu des scores élevés tant à LITMUS-NWR-F (81.7% chacun) qu'à LITMUS-SR-F (96.7% et 100% respectivement). Ces observations suggèrent que la procédure utilisée dans cette étude pour diviser les enfants dans les groupes Bi-TSL et Bi-TD mérite d'être améliorée, notamment à cause des caractéristiques de certains tests standardisés utilisés. Il serait certainement profitable de comparer la méthode que nous avons utilisée avec d'autres alternatives.
4.2 Les tâches LITMUS et l'impact de la dominance linguistique
Notre second objectif était de vérifier si la performance des enfants bilingues était influencée par différents facteurs liés au bilinguisme, tels que la durée d'exposition, l'âge de contact, la quantité et la qualité de l'input reçu, et la dominance langagière. Pour cela, nous avons mené des analyses corrélationelles entes les tâches de répétition LITMUS et plusieurs mesures de facteurs liés au bilinguisme obtenues via le questionnaire parental LITMUS-PABIQ. Nous avons pu constater qu'il n'y avait pas de corrélation entre le taux de répétition identique à NWR et aucune de ces mesures, ce qui suggère que la performance à cette épreuve n'est pas affectée par la quantité d'exposition linguistique, l'âge de contact, la durée d'exposition ou la dominance langagière. Il est de noter que d'autres études ont testé l'effet de facteurs externes sur la performance d'enfants bilingues à des tâches de NWR. Celles-ci ont rapporté soit qu'il n'y avait influence de l'expérience linguistique, chez des bilingues français-anglais (Brandeker & Thordadottir, 2015; Thordadottir & Brandeker, 2013) et des apprenants L2 de l'islandais (Thordadottir & Juliusdottir, 2013), soit, au contraire, que l'expérience linguistique avait un impact important, chez des bilingues anglais-gallois (Sharp & Gathercole, 2013) et des bilingues espagnol-anglais (Gibson et al., 2015). Cependant, les tâches de NWR utilisées dans ces études ont été conçues pour tester la mémoire verbale à court terme et pas la compétence phonologique, ce qui diffère de l'épreuve LITMUS-NWR-F. A notre connaissance, notre étude est la première à ne montrer aucun effet de l'expérience linguistique sur une épreuve de NWR qui teste les capacités phonologiques des enfants. L'absence de toute corrélation entre les mesures liées au bilinguisme et la performance à LITMUS-NWR-F est un résultat très encourageant, puisqu'il suggère que cette tâche peut être utilisée avec une grande variété d'enfants bilingues, indépendament de leur situation particulière de bilinguisme, et même avec des enfants ayant une exposition très limitée au français. Nous pensons donc que ce résultat démontre l'utilité de cette tâche pour l'évaluation du TSL dans des contextes bilingues.
En ce qui concerne l'épreuve LITMUS-SR-F, une corrélation modérée entre le taux de répétition identique et l'utilisation du français à la maison, lors d'activités variées et avec les amis et l'IDL a été observée, chez les enfants du groupe Bi-DT uniquement. Ceci indique que l'exposition au français a un impact positif sur les résultats à cette épreuve chez de tels enfants bilingues, contrairement à ce que nous avons vu pour la tâche de NWR. Ce résultat n'est pas surprenant puisque l'acquisition de la morphosyntaxe nécessite certainement plus d'exposition que celle de la phonologie. Nous avons vu en section 3 que la spécificité de l'épreuve SR chez les enfants bilingues chutait à cause de quelques enfants du groupe Bi-DT ayant obtenu des scores très faibles. Or, la plupart de ces enfants n'avaient pas le français comme langue dominante. De fait, tous les enfants du groupe Bi-DT considérés comme étant dominants en français ont obtenu de bons résultats à cette épreuve, à l'exception d'un seul, et tous les enfants du groupe Bi-TSL considérés comme étant dominants en français ont obtenu un score inférieur à 60%. Ceci suggère que LITMUS-SR-F permet une bonne identification du TSL chez les enfants bilingues dominants en français. Cette tâche permet également une bonne identification du TSL chez les enfants Bi-DT non dominants en français, puisque la moitié d'entre eux a également affiché une bonne performance à cette épreuve. Cependant, comme la superposition des résultats dans le groupe Bi-DT est plus élevée, un score chuté à SR chez un enfant non dominant en français pourrait être plus difficile à interpréter. L'utilisation combinée des épreuves de SR et de NWR comme outils d'évaluation permet de minimiser cette limitation puisque, comme nous l'avons vu, NWR semble être sensible au TSL indépendament de la dominance linguistique. On notera que cette situation est particulièrement problématique dans notre étude pour la population turcophone puisque tous les enfants, à l'exception de deux, étaient soit dominants en turc, soit équilibrés. De plus, il convient de rappeler que 10 enfants turcophones du groupe Bi-DT ont obtenu des scores inférieurs à 60% à SR. Seuls quatre ont également affiché des scores chutés à NWR. Nous pouvons donc émettre l'hypothèse que les six autres enfants sont de véritables bilingues avec DT ayant obtenu des scores chutés à SR à cause de leur profil de dominance langagière. Pour confirmer cette hypothèse, nous devrions utiliser SR sur un plus grand groupe d'enfants turcophones dominants en français. Il est probable que les scores chutés de certains enfants turcophones dominants en turc à SR explique le taux relativement plus faible de spécificité à cette épreuve, tout comme l'existence d'une différence significative entre la performance de nos populations Bi-DT et Mo-DT à cette épreuve. Un résultat important de notre étude est que, contrairement au groupe Bi-DT, aucun lien entre les facteurs d'exposition et les résultats à SR n'a pu être établi pour le groupe Bi-TSL : les enfants avec TSL ont eu des scores chutés à cette épreuve indépendament de leur profil de dominance langagière.
5 Conclusion
Cette étude a montré que les outils LITMUS-NWR-F et LITMUS-SR-F permettent d'identifier des enfants monolingues français ainsi que des bilingues arabe/français, portugais/français et turc/français avec et sans TSL. De plus, nous avons établi que la performance à LITMUS-NWR-F n'était pas influencée par des facteurs extra-linguistiques. Ceci est également vrai pour la performance des enfants du groupe Bi-TSL à la tâche de SR. Nous avons par ailleurs montré qu'il y avait plus de variation dans la performance des enfants non dominants en français du groupe Bi-DT à cette tâche. Ceci suggère que les enfants bilingues avec DT ont besoin d'une quantité d'exposition au français minimale pour obtenir de bons résultats à cette épreuve.
Notre conclusion est que les tâches LITMUS-NWR-F et LITMUS-SR-F semblent être très utiles dans l'évaluation d'enfants bilingues avec différents profils linguistiques et dans différentes situations de bilinguisme résidant en France.
Références bibliographiques
Armon-Lotem, S., Walters, J., & Gargarina, N. (2011). The impact of internal and external factors on linguistic performance in the home language and in L2 among Russian- Hebrew and Russian-German preschool children. Linguistic Approaches to Bilingualism, 1, 291-317.
Armon-Lotem, S. (2012). Introduction: Bilingual children with SLI - the nature of the problem. Bilingualism: Language and Cognition, 15, 1-4.
Armon-Lotem, S, de Jong, J. & Meir, N. (eds) (2015). Assessing multilingual children: Disentangling bilingualism from language impairment. Bristol: Multilingual Matters.
Brandeker, M. & Thordadottir, E. (2015). Language exposure in bilingual toddlers: Performance on nonword repetition and lexical tasks. American Journal of Speech-Language Pathology, 24, 126-138.
Castro, S. L., Caló, S., Gomes, I., Kay, J., Lesser, R., & Coltheart, M. (2007). PALPA-P Provas de Avaliaçâo da Linguagem e da Afasia em Portugués. Lisbon: CEGOC.
Chevrie-Muller, C. & Plaza, M. (2001). N-EEL Nouvelles épreuves pour l 'examen du langage. Paris: ECPA.
Chiat, S. (2015). Nonword repetition. In Armon-Lotem, S, de Jong, J. & N. Meir (eds), Assessing multilingual children: Disentangling bilingualism from language impairment, Bristol: Multilingual Matters, 123-148.
Chondrogianni, V. & Marinis, T. (2011). Differential effects of internal and external factors on the development of vocabulary, tense morphology and morphosyntax in successive bilingual children. Linguistic Approaches to Bilingualism, 1, 318-345.
Conti-Ramsden, G., Botting, N. & Faragher, B. (2001). Psycholinguistic markers for specific language impairment (SLI). Journal of Child Psychology and Psychiatry, 42, 741-748.
Ferré, S. & dos Santos, C. (2015). Un test de répétition de non-mots pour évaluer la phonologie des enfants bilingues. LiDiL, 51, 11-34.
Ferré, S., dos Santos, C. & de Almeida, L. (2015). Potential clinical markers for SLI in bilingual children. In E. Grillo & K. Jepson (eds), Proceedings of the 39th Annual Boston University Conference on Language Development, Somerville, MA: Cascadilla Press, 152-164.
Ferré, S., Tuller, L., Sizaret, E. & Barthez, M.-A. (2012). Acquiring and avoiding phonological complexity in SLI vs. typical development of French: The case of consonant clusters. In Hoole, P., Bombien, L., Pouplier, M., Mooshammer, C., & Kühnert, B. (eds), Consonant clusters and structural complexity, Berlin: De Gruyter, 285308.
Fleckstein, A., Prévost, P., Tuller, L., Sizaret, E., & Zebib, R. (sous presse). How to identify SLI in bilingual children? A study on sentence repetition in French. Language Acquisition.
Genesee, F., Paradis, J., & Crago, M. (2004). Dual language development and disorders: A handbook on bilingualism and second language learning. Baltimore, MD: Paul H. Brookes.
Gibson, T., Summers, C., Peña, E., Bedore, L., Gillam, R. & Bohman, T. (2015). The role of phonological structure and experience in bilingual children's nonword repetition performance. Bilingualism: Language and Cognition, 18, 551-560.
Hamann, C. (2012). Bilingual development and language assessment. In Biller, A. K., Chung, E. Y. & Kimball, A. E. (eds.), Proceedings of the 36th annual Boston University Conference on Language Development, Somerville, MA: Cascadilla Press, 1-28.
Khomsi, A. (1998). Evaluation des Compétences Scolaires. Cycle III. Paris: ECPA.
Khomsi, A., Khomsi, J., Pasquet, F. & Parbeau-Gueno, A. (2007). Bilan Informatisé de langage Oral au cycle III et au Collège (BILO3C). Paris: ECPA.
Marinis, T. & Armon-Lotem, S. (2015). Sentence repetition. In Armon-Lotem, S, de Jong, J. & N. Meir (eds), Assessing Multilingual Children. Disentangling Bilingualism from Language Impairment, Bristol: Multilingual Matters, 95-122.
Paradis, J. (2011). Individual differences in child English second-language acquisition: comparing child-internal and child-external factors. Linguistic Approaches to Bilingualism, 1, 213-237.
Paradis, J. (2004). The relevance of SLI in understanding the role of transfer in second language acquisition. Applied Psycholinguistics, 25, 67-82.
Paradis, J. & Crago, M. (2000). Tense and temporality: a comparison between children learning a second language and children with SLI. Journal of Speech, Language and Hearing research, 43, 834-847.
Prévost, P., Tuller, L., Scheidnes, M., Ferré, S. & Haiden, M. (2010). Computational complexity effects in the acquisition of wh-questions in child L2 French. In Dominguez, L. & Guijarres-Fuentes, P. (eds.), New directions in language acquisition: Romance languages in the generative perspective, Newcastle: Cambridge Scholars Publishing, 415-444.
Prévost, P., Tuller, L., & Zebib, R. (2012). LITMUS-SR-French. ms., François Rabelais University, Tours.
Rattanasone, N. X. & Demuth, K. (2014). The acquisition of coda consonants by Mandarin early child L2 learners of English. Bilingualism: Language and Cognition, 17, 646-659.
Raven, J. C., Court, J. & Raven, J. (1986). Raven's coloured matrices. London: H. K. Lewis.
dos Santos, C. & Ferré, S. (sous presse). A nonword repetition task to assess bilingual children phonology. Language Acquisition.
Sharp, K. & Gathercole, V. (2013). Can a novel word repetition task be a language-neutral assessment tool? Evidence from Welsh-English bilingual children. Child Language Teaching and Therapy, 29, 77-89.
Sua-Kay E. & Santos, M. E. (2014). Grelha de Avaliaçao da Linguagem - nível escolar (GOL-E). Alcoitâo: Escola Superior de Saúde do Alcoitâo. 2 ediçâo revista.
Thordardottir, E. (2015). Proposed Diagnostic procedures for use in Bilingual and Cross-Linguistic Contexts. In Armon-Lotem, S., de Jong, J. & N. Meir (eds), Assessing multilingual children: Disentangling bilingualism from language impairment, Bristol: Multilingual Matters, 331-358.
Thordardottir, E. & Brandeker, M. (2013). The effect of bilingual exposure versus language impairment on nonword repetition and sentence imitation scores. Journal of Communication Disorders, 46, 1-16.
Thordardottir, E. & Juliusdottir, A. G. (2013). Icelandic as a second language: A longitudinal study of language knowledge and processing by school-age children. International Journal of Bilingual Education and Bilingualism, 16, 411-435.
Topbas, S. & Güven, S. (2008). Turkce Erken Dil Gelisim Testi (Test of Early Language Development-TELD3. Turkish adaptation).
Topbas, S., Kaçar-Kûtûkçû, D., & Kopkalli-Yavuz, H. (2014). Performance of children on the Turkish nonword repetition test: Effect of word similarity, word length, and scoring. Clinical Linguistics & Phonetics, 28, 602616.
Tomblin, J. B. & Zhang, X. (2006). The dimensionality of language ability in school age children. Journal of Speech and Hearing Research, 49, 1193-1208.
Tuller, L. (2015). Clinical use of parental questionnaires in multilingual contexts. In Armon-Lotem, S., de Jong, J. & N. Meir (eds), Assessing multilingual children: Disentangling bilingualism from language impairment, Bristol: Multilingual Matters, 299-328.
Tuller, L., Abboud, L., Ferré, S., Fleckstein, A., Prévost, P., dos Santos, C., Scheidnes, M. & Zebib, R. (2015). Specific language impairment and bilingualism: Assembling the pieces. In Hamann, C. & E. Ruigendijk (eds), Language acquisition and development: Proceedings of GALA 2013, Newcastle: Cambridge Scholars Publishing, 533-567.
Unsworth, S., Argpi, F., Lornips, L., Hulk, A., Sorace, A. & Tsimpli, I. (2014). The role of age of onset and input in early child bilingualism in Greek and Dutch. AppliedPsycholinguistics, 35, 765-805.
Zebib, R., Khomsi, A., Henri, G., Messarra, C., Hreich, E., Dahdah, L. & Attieh, Z. (sous presse). Batterie d'Evaluation du Langage Oral chez l'enfant libanais (ELO-L). Paris: ECPA.