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« L'évaluation des apprentissages scolaires au Luxembourg »
Christophe Dierendonck, Réginald Burton et Philippe Wanlin
Mesure et évaluation en éducation, vol. 32, n° 3, 2009, p. 101-123.
Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :
URI: http://id.erudit.org/iderudit/1024933ar DOI: 10.7202/1024933ar
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Mesure et évaluation en éducation, 2009, vol. 32, № 3, 101-123 101
L'évaluation des apprentissages scolaires au Luxembourg
Christophe Dierendonck
Réginald Burton
Université du Luxembourg
Philippe Wanlin
Université de Genève
Mots clés: Luxembourg, pratiques d'évaluation
Cet article porte sur les pratiques d'évaluation des acquis scolaires au Luxembourg. Il poursuit trois objectifs précis : synthétiser l'évolution des politiques et des pratiques d'évaluation des acquis scolaires à partir d'une analyse des documents officiels, aborder la concrétisation des directives officielles sur le terrain en présentant les données disponibles et illustrer les dérives potentielles liées à certains types d'évaluation des apprentissages scolaires.
Key-words: Luxembourg, evaluation practices
This article focuses on evaluation practices of learning achievement in Luxembourg. It has three specific objectives: to summarize the evolution of policies and practices for assessing student achievement from an analysis of official documents, to analyze how official evaluation guidelines are effectively implemented in the classes and to illustrate the potential dangers associated with some types of evaluation of learning achievement.
Palavras-chave: Luxemburgo, práticas de avaliaçao
Este artigo centra-se nas práticas de avaliaçao das aprendizagens no Luxemburgo. Apresenta três objectivos precisos: sintetizar a evoluçao das políticas e das práticas da avaliaçao das aprendizagens a partir de uma análise dos documentos oficiais, abordar a implementaçao das directivas oficiais através dos dados disponíveis e ilustrar as potenciais derivas associadas a certos tipos de avaliaçao das aprendizagens escolares.
Note des auteurs - Toute correspondance peut être envoyée par courriel aux adresses suivantes : [christophe.dierendonck@uni.lu], [reginald.burton@uni.lu] ou [philippe.wanlin@unige.ch].
Introduction
Les particularités du système scolaire
Le système scolaire luxembourgeois présente trois particularités essentielles. La première est liée à la taille relativement petite du pays (près de 500 000 habitants), ce qui donne une idée de la taille du système éducatif (environ 115 écoles primaires et une trentaine d'écoles au secondaire)1. La deuxième particularité est le caractère multilingue du système scolaire puisque le luxembourgeois, l'allemand et le français, qui sont les langues officielles du pays, sont également les langues d'enseignement2. La troisième particularité est liée à la composition de la population scolaire qui compte environ 40 % d'élèves d'origine étrangère, essentiellement romanophones3. À côté des trois langues officielles coexistent donc de nombreuses autres langues qui sont généralement parlées par les parents et les enfants à la maison. C'est ce multi-linguisme exacerbé qui fait sans aucun doute la richesse de l'école luxembourgeoise mais qui constitue également une des plus grandes sources d'iniquité de ce système éducatif.
Le fonctionnement du système scolaire
En analysant le fonctionnement et les résultats du système scolaire dans le cadre d'une recherche récente (Martin, Dierendonck, Meyers & Noesen, 2008), des chercheurs de l'unité EMACS4 de l'Université du Luxembourg ont réanalysé plusieurs bases de données nationales et internationales et ont pu relever les mécanismes fondamentaux qui font que l'école luxembourgeoise n'est pas suffisamment efficace et équitable au regard des moyens qui y sont investis. selon cette étude, le fonctionnement du système scolaire semble se caractériser par deux mécanismes principaux:
1. une gestion de l'hétérogénéité des élèves qui s'opère essentiellement de manière externe via le redoublement et l'orientation précoce des élèves vers différentes filières d'enseignement marquées par d'importants phénomènes de ségrégation (académique, socio-économique et migratoire) ;
2. une gestion et une évaluation de l'efficacité et de l'équité du système centrées essentiellement sur les inputs ou ressources investies dans le système, qui se traduisent in fine par une uniformisation des contenus et des méthodes d'enseignement.
Les constats précédents ne sont pas neufs puisque dès 1968, l'étude MAGRIP5 mettait en évidence les signes d'un système éducatif luxembourgeois cherchant l'homogénéisation des populations scolaires. Déjà à l'époque, on gérait les différences d'apprentissage observées entre les élèves en recourant au redoublement et à l'orientation précoce des élèves vers les filières d'enseignement secondaire. Quarante ans plus tard, c'est toujours le cas. Les taux de retard scolaire sont parmi les plus hauts d'Europe : à 11 ans, 20 à 25 % des élèves ont déjà connu au moins un redoublement et à 15 ans, 40 %% des élèves sont dans cette situation. Quant à l'orientation précoce des élèves à 12 ans, les données montrent que la procédure défavorise les élèves d'origine étrangère (voir la partie 3 de cet article). De la même façon, on peut avancer que l'école luxembourgeoise a toujours été gérée et pilotée à partir d'une analyse des moyens investis dans le système (budget alloué à l'éducation, programmes scolaires, ressources attribuées aux écoles, taux de scolarisation, etc.) et que très peu d'attention a été accordée aux résultats du système. Cette centration sur les inputs a limité la liberté pédagogique des enseignants en instaurant des référentiels identiques pour tous et une organisation scolaire fortement réglementée (sur le plan des horaires par exemple). Tout ceci a conduit à uniformiser l'enseignement dispensé tandis que le public scolaire se diversifiait de plus en plus.
Les choses semblent pourtant changer depuis 2004 puisque des efforts importants sont faits par les responsables et les acteurs de l'éducation pour tenter de modifier en profondeur le fonctionnement de l'école luxembourgeoise afin de la rendre plus efficace et plus équitable.
Contenu de l'article
L'article est structuré en trois parties. Dans la première partie, nous tentons de résumer l'évolution des politiques et des pratiques d'évaluation des acquis scolaires à partir d'une analyse des documents officiels en la matière. Nous limiterons notre propos à l'enseignement obligatoire. La deuxième partie aborde la concrétisation des directives officielles sur le terrain en présentant les données dont nous disposons actuellement à propos des pratiques d'évaluation des acquis des élèves. La troisième partie a pour ambition de
dépasser la visée descriptive des deux premières parties en attirant l'attention du lecteur sur les dérives liées à certains types d'évaluation des apprentissages scolaires au Luxembourg.
Comment les politiques éducatives et les directives en matière d'évaluation des acquis des élèves ont-elles évolué au fil du temps ?
Comme stipulé dans l'introduction, l'école luxembourgeoise est actuellement en train de vivre de profondes mutations. La volonté des responsables politiques est de changer progressivement de paradigme en délaissant la conception traditionnelle d'un enseignement centré sur la transmission de contenus et de connaissances au profit d'une approche visant le développement de compétences. Mais avant d'aborder l'impact de ce changement radical d'orientation sur les directives en matière d'évaluation, il semble intéressant de pointer brièvement quelques étapes clés de l'évolution des politiques d'évaluation au Luxembourg sur le plan de l'enseignement obligatoire (4 à 16 ans). Nous avons distingué trois périodes : de la création des écoles au Luxembourg à la fin des années 1980, de 1989 au début des années 2000 et de 2004 à aujourd'hui.
Période 1 (avant 1989) :
une évaluation qui sanctionne les fautes
La loi de 1912 organisant l'enseignement primaire ne traitant pas précisément de la question de l'évaluation des élèves, il faudra attendre 1922 pour que les premiers éléments de politique en la matière soient officialisés par un arrêté (Arrêté du 6 septembre portant sur la révision du plan d'études pour les écoles primaires). cet arrêté invite les enseignants à utiliser alternativement deux cahiers de devoirs6 et les oblige à évaluer les élèves avec au moins quatre devoirs hebdomadaires datés. Quand le premier cahier est en possession des enseignants pour une correction minutieuse, l'autre cahier sert aux élèves pour la réalisation des tâches. Les deux cahiers sont ensuite échangés. L'arrêté de 1922 oblige par ailleurs « la sanction des devoirs » par l'enseignant, sanction prenant la forme d'une note chiffrée évaluant le fond et la forme de la production de l'élève. Les barèmes de cotation sont fixés par l'arrêté. Les prescriptions de l'arrêté se clôturent par deux éléments, l'un portant sur la nécessité d'une révision par l'enseignant des corrections des fautes des élèves et l'autre sur l'exploitation des fautes par les enseignants. Sur ce dernier point,
les enseignants sont invités à traiter collectivement avec leurs élèves les fautes qu'ils auront préalablement regroupées en ensembles ayant du sens. Pour ce qui est des fautes récurrentes, l'arrêté propose aux enseignants de procéder à une répétition d'exercices lors des cours suivants.
En 1964, un numéro spécial du Courrier de l'éducation nationale redéfinit le plan d'études pour les écoles primaires. En son point « Organisation des classes » (p. 127), quelques éléments en matière d'évaluation sont précisés. Ainsi, il est écrit que le contrôle du maître doit s'étendre sur tous les devoirs des élèves dont les corrigés doivent faire l'objet d'un traitement collectif pendant les leçons consacrées à la branche correspondante. Il est également stipulé que « lors de la correction en classe, l'énoncé des fautes devra être évité, de peur que les formes fautives ne se fixent dans la mémoire des enfants » (p. 128). Il s'agit donc de redresser les fautes mais en ne présentant que les formes exactes aux élèves. on signalera tout de même que, comparativement aux dispositions précédentes qui imposaient une évaluation sommative par tâches écrites, le document de 1964 invite à une prise en compte d'autres critères (aspects oraux, participation des élèves, assiduité, soin apporté aux travaux) pour l'attribution des notes trimestrielles.
Période 2 (de 1989 au début des années 2000) : l'introduction timide de l'évaluation formative
Le plan d'études provisoire7 de 1989 apparaît comme un premier tournant dans la politique évaluative grand-ducale. Alors que les directives officielles faisaient jusqu'ici la part belle à l'évaluation sommative sanctionnante (cf. de Landsheere, 1992), on trouve dans le plan d'études de 1989 les premières références à l'évaluation formative. Le document distingue plusieurs types d'évaluation:
• L'évaluation formative, qui doit être pratiquée couramment pendant le processus d'apprentissage de petites tranches de matière et dont l'enseignant a le devoir d'espacer la fréquence de manière équilibrée au cours de l'année scolaire. D'après le plan d'études, ce type d'évaluation fournit à l'enseignant des indications précises sur la maîtrise des matières abordées ainsi que sur les erreurs les plus fréquemment commises. Elle permet de situer les acquis des élèves par rapport à leurs performances antérieures et aux objectifs à atteindre. Il est également prévu qu'elle influence les moyens didactiques mis en œuvre puisqu'elle est censée inviter les enseignants à individualiser leurs interventions pédagogiques afin d'aider chaque élève à surmonter ses difficultés ;
• L'évaluation sommative par des épreuves périodiques portant sur des tranches plus importantes de l'apprentissage, qui permet d'établir le bilan des résultats scolaires à la fin de chaque trimestre et décide du passage de l'élève dans la classe supérieure ;
• L'évaluation pronostique, qui permet à l'enseignant de prévoir la progression de l'élève et d'orienter ses choix scolaires et professionnels.
Bien que les définitions restent relativement floues et que les directives données aux enseignants paraissent peu exploitables sur le terrain, on attribuera à ce plan d'études provisoire de 1989 l'honneur d'être à la source d'une révolution copernicienne en matière de politique d'évaluation des élèves au Luxembourg. En effet, on peut relever deux avancées majeures. La première est celle de l'introduction de l'évaluation formative dans un référentiel officiel dont les objectifs avoués sont l'optimisation de l'apprentissage des élèves et la régulation pédagogique. La seconde avancée se marque sur le plan du vocabulaire désormais utilisé : le plan d'étude de 1989 parle d'«erreur » des élèves alors que le terme « faute » était employé jusqu'alors. L'évaluation n'est plus systématiquement sanctionnante puisqu'elle donne le « droit à l'erreur», traduisant ainsi l'idée que l'erreur fait partie intégrante du processus d'apprentissage.
Période 3 (de 2004 à 2009) : vers un changement de paradigme
Il serait faux de dire que les résultats décevants du Luxembourg à l'étude PISA8 2000 ont été l'unique élément déclencheur de la profonde réforme actuelle du système scolaire mais il faut reconnaître, au minimum, que l'étude internationale de l'OCDE a été un catalyseur puissant du changement de paradigme observé. Dès 2004, le Ministère a en effet officiellement annoncé son objectif de passer d'un enseignement traditionnellement centré sur l'acquisition de connaissances et fondé sur l'approche par objectifs à un enseignement basé sur le développement de compétences. C'est donc au moins en partie pour cette raison qu'on assiste actuellement, dans les enseignements préscolaire et primaire (désormais unifiés en une « École fondamentale») ainsi qu'au degré inférieur de l'enseignement secondaire, à un remplacement progressif des lois, règlements et programmes d'études prévalant auparavant. Les transformations touchent tant à l'organisation de l'enseignement (p. ex. : mise en place de cycles d'apprentissage) qu'au curriculum prescrit (p. ex. : publication de socles de compétences pour chaque étape du cursus scolaire et
rédaction de nouveaux programmes d'études) et aux pratiques d'évaluation (p. ex. : bilans intermédiaires du développement des compétences, bilan de fin de cycle, entretiens individuels avec les parents, etc.).
En matière d'évaluation, les prescriptions de 1989 ont été précisées en 2004 par un ajout au Plan d'études (MENFPS, 2004). Ce document place l'évaluation au centre des pratiques enseignantes et la définit comme « un jugement de valeur au sujet des performances d'un élève par rapport à des critères ou à une norme » (p. 5). Il ne traite plus d'évaluation pronostique d'orientation scolaire mais centre son propos sur les évaluations formative et sommative. Selon ce document, l'évaluation formative, qui se situe en cours d'apprentissage et ne doit pas être fixée dans le livret scolaire (bulletin), est censée renseigner l'élève sur ses acquis et ses lacunes tout en visant la régulation du processus d'apprentissage et la remédiation des erreurs. Il s'agit aussi ici de rendre progressivement l'élève capable de s'autoévaluer lors de moments confidentiels de dialogue avec l'enseignant. L'évaluation sommative, qui est fixée dans le livret scolaire et qui remplit à terme une fonction de certification, prend place à la fin d'une séquence d'apprentissage et vise le contrôle de la conformité des performances par rapport aux programmes définis. Ce type d'évaluation est censé fonder les décisions d'avancement et être un outil de communication pour les parents, l'élève et l'école.
Dans l'enseignement secondaire et l'enseignement secondaire technique, plusieurs directives relatives à l'évaluation et à la promotion des élèves sont
données par le règlement grand-ducal du 14 juillet 2005. on peut y lire que «
L'évaluation des élèves fait partie intégrante du processus de formation. Elle permet de contrôler et de certifier les acquis et les progrès des élèves et de déceler leurs difficultés. Elle renseigne l'élève, l'enseignant et les parents de l'élève sur les progrès réalisés». Concrètement, les compétences des élèves sont évaluées par différents types d'épreuves : devoirs en classe, contrôles, travaux en classe, appréciations de la préparation des travaux et devoirs à domicile. L'évaluation est exprimée par une note échelonnée de 1 à 60 points. Est considérée comme note suffisante toute note supérieure ou égale à 30 points, comme note insuffisante toute note inférieure à 30 points.
En 2006, un document provisoire intitulé Les socles de compétences est publié par le Ministère. Ce document a servi de base pour l'établissement du document définitif Les socles de compétences publié en 2008. Après un long passage sur l'influence des représentations des enseignants sur leurs pratiques
évaluatives, ce document traite de l'évaluation formative et remplace l'évaluation sommative par l'évaluation certificative, probablement pour inviter les enseignants à dépasser le recours exclusif à la note chiffrée. Selon les socles de compétences, l'évaluation, qui fait partie intégrante de l'apprentissage, doit être centrée sur les progrès, les réussites et les cheminements des élèves et attribue un rôle formateur à l'erreur ou, plus précisément, à l'analyse des causes des erreurs aboutissant à des interventions ciblées. Il importe que l'élève puisse expliquer ses difficultés afin de bénéficier pleinement des aides qui lui permettent de les surmonter. L'écrit ministériel écorne la traditionnelle évaluation sommative en affirmant que celle-ci ne rend pas compte des causes des erreurs ni des progrès réalisés. De plus, lorsqu'elle est employée trop fréquemment, elle aurait tendance à réduire le temps nécessaire à la construction patiente des compétences. Le document invite par ailleurs les enseignants à varier les supports d'évaluation et à élargir la palette des outils d'évaluation pour accompagner les classiques devoirs en classe de dispositifs d'évaluation continue tels que les grilles de compétences et le portfolio. Il propose d'abandonner le contrôle collectif simultané des apprentissages pour préférer la différenciation des moments d'évaluation, étant donné que les élèves progressent à des rythmes inégaux selon les matières enseignées. Enfin, il suggère que l'évaluation soit réalisée à partir de situations complexes lorsque l'élève se sent prêt à s'y soumettre et « exclut l'organisation de devoirs chiffrés qui se concentrent en règle générale sur la reproduction et la mesure de performances par rapport à des connaissances précises » (MENFP, 2008b, p. 24). Le document Les socles de compétences reprécise que l'évaluation formative doit être intégrée au processus d'enseignement et d'apprentissage, jouant par conséquent un rôle de régulation à la fois sur les pratiques d'enseignement des enseignants et sur l'accompagnement des apprentissages des élèves.
Bien que le glissement vers une conception positive de l'erreur ait déjà été amorcé avec le plan d'études de 1989, le référentiel de 2008 souligne explicitement son rôle bénéfique pour la régulation de l'enseignement et de l'apprentissage : « Dans la perspective d'aide à l'apprentissage, l'erreur change de statut : au lieu d'être considérée comme lacune, comme un manque, l'erreur peut devenir bénéfique dans le sens qu'elle permet de comprendre la logique de l'élève et la cause de l'erreur. Elle devient le moteur de l'apprentissage par le travail qu'elle suscite. L'enseignant peut ainsi amener l'élève à prendre conscience des procédures et des connaissances utilisées et l'aider à construire de nouvelles stratégies » (MENFP, 2008b, p. 25). Quant à l'évaluation certificative, elle est placée dans les mains d'une équipe de cycle qui a pour
mission de dresser le bilan des apprentissages à la fin du cycle. Les enseignants doivent alors rendre compte du niveau atteint dans les compétences disciplinaires. Ce bilan doit également contenir des renseignements adressés aux enseignants du cycle suivant afin de les aider à offrir aux élèves les mesures d'aide ou d'enrichissement répondant à leurs besoins.
Que sait-on des pratiques d'évaluation en classe ?
Trois grandes catégories d'évaluation des acquis des élèves
Les apprentissages scolaires des élèves dans l'enseignement obligatoire luxembourgeois sont évalués au travers de trois types d'épreuves : les évaluations réalisées par les enseignants dans leur classe, les évaluations externes nationales (épreuves communes, épreuves du passage primaire-secondaire, épreuves du monitoring) et les évaluations internationales9 (essentiellement PIRLS10 et PISA). Le tableau 1 donne une vue synthétique des évaluations nationales et internationales conduites dans l'enseignement obligatoire au
Luxembourg. Tableau 1
Évaluations nationales et internationales au Luxembourg
Appellations Année d'étude Périodicité/ participation
Évaluations nationales Épreuves standardisées en mathématiques, allemand et fiançais (monitoring) Début de 3e primaire (cycle 3) Début de 5e/9e ES/EST Annuelle depuis 2008
Épreuves standardisées du passage primaire-postprimaire Fin de 6e année primaire Annuelle depuis 1996
Épreuves communes En milieu de5s/9s Es/EST Annuelle depuis 2003
Évaluations internationales Progress in International Reading Literacy Study (PIRLS) 5e année primaire (cycle 4) PIRLS 2006
Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) Élèves âgés de 15 ans PISA 2000 PISA 2003 PISA 2006 PISA 2009
Note : ES : Enseignement secondaire. EST : enseignement secondaire technique.
Des études internationales, on retiendra que le système scolaire luxembourgeois apparaît, comparativement aux systèmes scolaires des autres pays, comme trop peu efficace et trop peu équitable au regard des moyens qui y sont investis.
Les épreuves standardisées conduites en 3e année primaire et en 5e/9e ES/EST sont des évaluations nationales assez récentes. Elles poursuivent actuellement un double objectif:
1. permettre un suivi longitudinal du système scolaire ;
2. donner aux écoles et aux enseignants un repère qui leur est externe et qui
permette d'éventuels ajustements.
Les épreuves standardisées du passage primaire-secondaire ont, quant à elles, exclusivement une fonction d'orientation des élèves vers les filières de l'enseignement secondaire (voir la partie 3).
Les épreuves communes sont élaborées de manière externe par des commissions d'enseignants. Elles ont pour objectif d'évaluer les savoirs et les savoir-faire des élèves dans une optique faisant référence à l'approche par les compétences. Les épreuves communes sont corrigées et notées par les titulaires de classe. Elles sont considérées comme un devoir en classe classique.
En ce qui concerne les évaluations réalisées par les enseignants en classe, il est très difficile, comme nous allons le voir, de savoir exactement ce qui se fait effectivement dans les classes.
Parler des pratiques d'évaluation dans les classes luxembourgeoises : une entreprise difficile
Au Luxembourg, très peu d'information est disponible sur ce qui se passe au sein des classes, notamment en matière d'évaluation des apprentissages scolaires. Deux raisons peuvent expliquer ce constat : d'une part, parce que les efforts de recherche dans le domaine de l'éducation et de l'enseignement, qui se sont surtout développés avec la création en 2003 de la seule université du pays, sont récents et, d'autre part, parce que les classes luxembourgeoises ont toujours fonctionné de manière relativement hermétique avec un enseignant seul dans sa classe, ne devant rendre compte que très rarement de sa pratique et de ses résultats. À notre connaissance, deux études ont examiné le degré de concordance entre les évaluations des enseignants et les évaluations nationales (Burton & Martin, 2008 ; Martin, 1998) tandis que deux autres études ont documenté la question de la description des pratiques d'évaluation en salle de classe. Dans le cadre de l'étude intitulée Évaluation de l'efficacité des classes fonctionnant d'après le concept pédagogique offener Unterricht au Grand-Duché de Luxembourg (Dierendonck & Zenner, 2005), appelée par la suite Étude A, l'attention s'est portée sur les pratiques déclarées par un échantillon de 651 enseignants titulaires d'une classe primaire11. Sur le plan de l'évaluation des apprentissages, des données ont été recueillies sur les conceptions des enseignants ainsi que sur
les pratiques d'évaluation en classe. Des données similaires ont été récoltées dans le cadre de l'étude intitulée La place de l'école dans la société luxembourgeoise de demain (Martin et al., 2008) et appelée dans la suite du texte Etude B mais la prise de données s'est faite cette fois auprès d'échantillons restreints d'enseignants de 5e année primaire et du secondaire, l'objectif de l'étude n'étant pas directement lié aux pratiques d'enseignement et d'évaluation.
Tableau 2
Degré d'accord des enseignants et des parents avec plusieurs affirmations relatives à l'évaluation
Affirmations Source Répondants % d'accords
Étude A Enseignants du primaire (n=644) 48
Les points que l'enseignant attribue Enseignants de 5e primaire 44
aux élèves sont objectifs : ils traduisent (n=45)
les compétences réelles des élèves. Étude B Enseignants du secondaire 55
(n=60)
Parents (n=1039) 54
Seules les performances aux évaluations doivent être prises en considération pour la promotion des élèves. Étude A Enseignants du primaire (n=636) 20
Étude A Enseignants du primaire (n=635) 22
Enseignants de 5e primaire 13
Sans les points, il n'y aurait plus de (n=45)
discipline au sein de la classe. Étude B Enseignants du secondaire 40
(n=60)
Parents (n=1045) 48
Sans les notes et le redoublement, les élèves ne seraient plus motivés à apprendre. Étude B Enseignants de 5e primaire (n=45) 27
Enseignants du secondaire (n=60) 65
Parents (n=1043) 56
L'évaluation formative est Étude A Enseignants du primaire 92
une pratique efficace. (n=637)
L'évaluation formative devrait être une pratique prépondérante. Étude A Enseignants du primaire (n=636) 90
Les conceptions des enseignants dans le domaine de l'évaluation des apprentissages
Le tableau 2 est construit à partir de données issues des études A et B. Il reprend le positionnement d'enseignants du primaire et du secondaire ainsi que celui d'un large échantillon de parents quant à certaines affirmations relatives à l'évaluation en général et à l'évaluation formative en particulier.
À la lecture de ce tableau, il apparaît que les enseignants sont partagés sur la question de l'objectivité des points qu'ils attribuent à leurs élèves. Dans l'enseignement primaire, ils sont 52 %% à reconnaître le caractère subjectif de leur évaluation tandis que 48 %% des répondants continuent à croire en l'objectivité de leurs appréciations. Les réponses des enseignants semblent dépendre du degré scolaire dans lequel ils enseignent et de leur expérience (Dierendonck & Zenner, 2005). Plus les enseignants exercent dans les degrés supérieurs et plus ils sont âgés, plus ils ont tendance à croire en l'objectivité de leur évaluation. Dans l'enseignement secondaire, le pourcentage d'enseignants convaincus de l'objectivité de leur évaluation est de 55 %. Les parents semblent eux aussi plutôt en accord (54 °%) avec l'affirmation.
Au primaire, huit enseignants sur 10 affirment qu'à côté des performances aux évaluations, d'autres données doivent être prises en considération pour décider de la promotion ou du redoublement des élèves. À propos de cette affirmation, aucune différence significative ne se dégage lorsqu'on considère le degré scolaire. Par contre, on relève une tendance nette en ce qui concerne l'âge des enseignants : plus les enseignants sont expérimentés, plus la proportion d'accords avec l'affirmation augmente (Dierendonck & Zenner, 2005).
on constate aussi qu'un peu plus de 20 % des enseignants du primaire affirment que sans les points attribués aux élèves, il n'y aurait plus de discipline au sein de leur classe. L'analyse détaillée des données met en évidence une légère tendance croissante et significative des accords avec l'affirmation à mesure que l'on progresse dans la scolarité et à mesure que les enseignants deviennent plus âgés (Dierendonck & Zenner, 2005). Ce pourcentage monte à 40 % chez les enseignants du secondaire et à 48 % chez les parents. Dans le même ordre d'idées, 27 % des enseignants du primaire, 65 % des enseignants du secondaire et 56 % des parents interrogés semblent convaincus que « sans les notes et le redoublement, les élèves ne seraient plus motivés à apprendre». Enfin, on relève qu'au primaire, neuf enseignants sur 10 semblent convaincus de l'efficacité de l'évaluation formative. Ici, aucune différence significative ne ressort lorsqu'on considère le degré scolaire ou l'âge des enseignants (Dieren-
donck & Zenner, 2005). Le constat est le même quant à l'affirmation selon laquelle l'évaluation formative devrait être une pratique prépondérante dans les classes.
Les pratiques d'évaluation en classe
Dans l'étude A, il a été demandé aux 651 enseignants du primaire de dire comment et à quelle fréquence ils évaluaient le travail de leurs élèves. Le tableau 3 synthétise leurs réponses exprimées en pourcentage.
Tableau 3
Nature et fréquence des évaluations proposées par les enseignants du primaire (étude A)
Rarement Parfois Souvent Très souvent
Petit contrôle écrit comptant pour le bulletin 15 34 41 10
Devoir en classe (évaluation intermédiaire comptant pour le bulletin) 1 12 60 27
Évaluation-bilan comptant pour le bulletin 21 32 40 7
Petit contrôle écrit formatif (ne comptant pas pour le bulletin) 30 40 24 6
Évaluation-bilan formative (ne comptant pas pour le bulletin) 36 41 20 3
Évaluation orale 5 41 47 7
Évaluation de travaux de groupes 39 43 16 2
Constitution d'un portfolio par élève 72 17 7 4
Autoévaluation des élèves 59 32 7 2
Rencontre individuelle avec chaque élève 41 41 15 3
À la lecture de ce tableau, et malgré la relative imprécision de l'échelle utilisée, on s'aperçoit que les évaluations sommatives sont les pratiques d'évaluation les plus fréquentes alors que les mêmes enseignants sont 9 sur 10 à déclarer que l'évaluation formative devrait être une pratique prépondérante (cf. tableau 2). D'ailleurs, on relève que les évaluations formatives semblent être fréquentes dans moins d'un tiers des classes de l'échantillon. Quant au portfolio, à l'autoévaluation des élèves et à l'entretien individuel d'évaluation, force est de constater que ce sont des pratiques plutôt rares. Le tableau 4 montre à quoi servent les résultats des évaluations décrites précédemment.
Tableau 4
Utilité des évaluations proposées en classe (% de réponses) — Étude A
Les évaluations servent à ... Rarement Parfois Souvent Très souvent
Informer les parents des progrès et des lacunes de leur enfant 5 27 47 21
Informer les élèves de leurs progrès et de leurs lacunes 3 15 57 25
Grouper les élèves à des fins de différenciation 35 43 18 4
Organiser des moments de soutien aux élèves en difficulté 9 44 37 9
Dresser un suivi de chaque élève au fil de l'année (bilan écrit ou entretien complémentaire au bulletin) 52 24 17 7
Évaluer l'efficacité de votre enseignement 14 36 41 9
Comparer la performance de la classe d'année en année 51 29 17 3
Décider de la réussite ou de l'échec des élèves 14 31 42 13
Si, pour les enseignants, les évaluations servent avant tout à informer individuellement les élèves de leurs progrès et de leurs lacunes, elles servent également majoritairement à informer les parents, à évaluer l'efficacité de l'enseignement dispensé et à décider de la réussite ou de l'échec des élèves. Elles semblent beaucoup moins utilisées à des fins de différenciation et de soutien envers les élèves en difficulté.
L'étude B a voulu répliquer la prise d'information du tableau 3 en adoptant cette fois une échelle de fréquence un peu plus précise (tableau 5). Rappelons toutefois que la taille des échantillons nous oblige à des constats prudents qui méritent confirmation. Les données montrent que le recours à l'évaluation certificative écrite tend à être plus fréquent que l'utilisation de l'évaluation formative écrite. La fonction formative de l'évaluation semble être davantage privilégiée par les enseignants du primaire. L'évaluation certificative écrite, tout aussi fréquente au primaire qu'au secondaire, semble essentiellement être hebdomadaire. Le recours à l'oral serait moins fréquent et davantage utilisé à des fins formatives. L'autoévaluation et, dans une moindre mesure, l'entretien individuel seraient des pratiques d'évaluation peu usitées par les enseignants du secondaire.
Tableau 5
Nature et fréquence des évaluations proposées par les enseignants de 5e année primaire et du secondaire (% de réponses) — Étude B
Modalités d'évaluation Niveau n Jamais 1 fois 2 à 3 fois 1 fois 1 fois Plus de 1 fois
par an par an par mois par semaine par semaine
Petit contrôle écrit comptant pour le bulletin Primaire 45 7 0 2 17 56 18
Secondaire 61 2 3 16 64 13 2
Petit contrôle écrit ne comptant pas pour le bulletin (évaluation formative) Primaire 44 11 2 5 34 32 16
Secondaire 59 24 7 17 32 12 8
Évaluation-bilan comptant pour le bulletin
Primaire 42 38 0 10 21 19 12
Secondaire 56 13 2 39 46 0 0
Évaluation-bilan ne comptant pas pour le bulletin (évaluation formative) Primaire 41 49 0 17 22 7 5
Secondaire 59 54 10 19 12 3 2
Évaluation orale comptant pour le bulletin Primaire 44 4 0 18 43 23 12
Secondaire 61 15 5 33 31 13 3
Évaluation orale ne comptant pas pour le bulletin
(évaluation formative) Primaire 44 16 4 14 23 11 32
Secondaire 56 25 5 11 29 12 18
Autoévaluation des élèves Primaire 43 42 9 19 23 5 2
Secondaire 62 40 13 23 13 6 5
Entretien individuel
avec chaque élève Primaire 45 18 9 33 24 11 5
Secondaire 61 18 13 41 17 8 2
De ce qui précède, on retiendra que les enseignants luxembourgeois adhèrent à l'idée selon laquelle l'évaluation formative est une pratique efficace et que son utilisation devrait être fréquente. Ces conceptions sont proches des prescriptions officielles. cependant, les pratiques déclarées ne font état que d'un recours timide à l'évaluation formative par les enseignants, ceux-ci continuant à privilégier la fonction certificative des évaluations.
Le mirage de l'évaluation objective : illustration à partir de l'épreuve d'orientation et des notes du bulletin
Cette troisième partie veut dépasser le positionnement descriptif adopté jusqu'à présent pour attirer l'attention du lecteur sur les dérives potentielles de tout dispositif d'évaluation des acquis des élèves. L'analyse qui est proposée ici à titre d'illustration met en tension un type d'évaluation que l'on peut qualifier d'externe (épreuves d'orientation en fin d'école primaire) et l'évaluation interne conduite par les enseignants au fil de l'année scolaire. En mettant en lumière certaines tensions en matière d'objectivité et d'équité, nous voulons montrer que tout dispositif d'évaluation peut conduire, sans le recul nécessaire et sans remise en question, au gâchis d'un potentiel humain.
Une évaluation nationale qui présente encore quelques dysfonctionnements malgré les avancées de 1996
Le passage de l'enseignement primaire à l'enseignement secondaire (appelé postprimaire au Luxembourg) est une étape clé dans le parcours scolaire des enfants qui fréquentent le système éducatif luxembourgeois. Dès la fin de l'enseignement primaire, les élèves sont orientés vers trois filières d'enseignement distinctes : l'enseignement secondaire classique, l'enseignement technique et l'enseignement préparatoire réservé aux élèves qui présentent des besoins spécifiques en ce qui concerne l'apprentissage.
Depuis la réforme de la procédure d'orientation en 1996, il est prévu que l'avis d'orientation soit émis par un conseil institué pour chaque classe de sixième année primaire, présidé par l'inspecteur d'arrondissement et composé en outre de l'institutrice ou l'instituteur titulaire de la classe ainsi que d'un professeur de l'enseignement secondaire, d'un professeur de l'enseignement secondaire technique et d'un psychologue. L'avis d'orientation est émis sur la base de quatre critères : l'avis des parents, l'avis de l'instituteur ou de l'institutrice titulaire de la classe, les notes des bulletins de la sixième année d'études et les résultats à une série d'épreuves standardisées organisées par le ministère de l'Éducation nationale au terme de l'enseignement primaire.
Les épreuves standardisées réalisées pour les besoins de la procédure d'orientation portent sur trois disciplines : le français, les mathématiques et l'allemand. Dans chaque discipline, des compétences différentes sont évaluées afin de dresser un large profil de compétences pour chaque enfant. Les épreuves de langues (français et allemand) tentent généralement d'appréhender
la capacité des élèves dans les domaines de la compréhension de l'écrit et de l'oral, de la grammaire, de l'orthographe et de la conjugaison. L'épreuve de mathématiques tente, quant à elle, d'appréhender les aptitudes des élèves à reproduire des procédures qui ont fait l'objet d'un apprentissage et à les transférer dans d'autres contextes.
Dans les faits, contrairement à l'intention première de dresser un bilan exhaustif et détaillé des performances des élèves en vue de nuancer autant que possible la décision d'orientation, on s'aperçoit, grâce à des analyses factorielles réalisées sur les différents scores, que les savoirs scolaires évalués par les épreuves standardisées sont dominés par une composante d'aptitude générale et une composante langagière en allemand notamment très présente dans les résultats des épreuves en mathématiques (Burton & Martin, 2008). Plus précisément, la prépondérance du facteur relatif aux compétences langagières en allemand se traduit dans la pratique par une discrimination envers les élèves romanophones (portugais, français, belges et autres) tant sur le plan de leurs performances aux épreuves standardisées que sur celui des décisions qui en découlent, à savoir l'avis d'orientation. En dehors de l'origine culturelle des enfants, d'autres discriminations sont également observées envers les élèves qui accusent un retard scolaire. Plus précisément, des inégalités d'acquis principalement observées pour les élèves étrangers et les élèves redoublants remettent en question la capacité du système éducatif luxembourgeois à intégrer la diversité des populations auxquelles il a à faire face. Ainsi, si l'on considère les aptitudes des élèves dans chacune des branches évaluées par les épreuves standardisées, on constate des disparités importantes en fonction des groupes linguistiques : si, en allemand et en mathématiques, les élèves germanophones obtiennent effectivement de meilleurs scores que les élèves romanophones, en français, ce sont les élèves romanophones qui sont les plus performants. Par contre, aucune différence d'aptitude générale de compétence n'est observée entre les élèves romano-phones et germanophones.
Par ailleurs, les aptitudes des élèves qui ont subi un redoublement sont en général moins élevées que celles de leurs condisciples, indiquant une fois de plus l'inefficacité de cette mesure de gestion externe de l'hétérogénéité des acquis des élèves.
Si l'on tient compte du système hiérarchique qui existe entre les différentes filières d'enseignement, on constate une tendance générale des conseils à orienter davantage les élèves vers les sections technique et préparatoire,
contrairement à l'avis des parents. Les divergences entre les avis des parents et les décisions des conseils affectent principalement les élèves romanophones. Ces derniers, bien que ne se différenciant pas des autres élèves quant à leurs potentialités générales, se voient davantage orientés vers l'enseignement technique ou préparatoire. Pour ces élèves, les lacunes observées en allemand sont particulièrement sanctionnées alors que, pour les élèves germanophones, les faiblesses en français ne représentent pas un obstacle majeur à leur orientation vers l'enseignement secondaire général. Le caractère plurilingue du système scolaire luxembourgeois semble donc constituer une source importante d'inégalité, surtout pour les enfants d'origine étrangère.
Les notes attribuées par les enseignants comme facteur de renforcement des inégalités
Les notes de bulletin établies par les enseignants sont restées un critère de base pour la constitution de l'avis d'orientation émis par les conseils. Si l'on compare les notes de bulletin aux facteurs extraits des épreuves externes réalisées dans le cadre de la procédure d'orientation, on constate que la corrélation de ces notes avec le facteur d'aptitude général est plus élevée que la corrélation avec les facteurs d'aptitude spécifiques aux différentes matières (français, allemand, mathématiques). En d'autres termes, les notes de bulletin semblent toutes mesurer avant tout une aptitude générale transversale et, seulement dans une moindre mesure, des apprentissages qui sont spécifiques à une matière donnée (Martin, 1998).
Pour voir dans quelle mesure les notes de bulletin interviennent dans les logiques d'orientation en vigueur dans la procédure du passage de l'enseignement primaire à l'enseignement postprimaire au Luxembourg, deux modèles de prédiction de l'avis d'orientation des conseils en fonction des différents critères entrant en jeu dans la procédure d'orientation ont été mis au point. Il s'agit, pour l'essentiel, de déterminer les variables prédictives qui permettent de discriminer au mieux les avis d'orientation émis par les conseils au moyen d'analyses discriminantes.
La première approche consiste à envisager la logique d'orientation suivie par les conseils sur la base des seuls résultats des élèves aux épreuves externes (Burton & Martin, 2008). Dans cette perspective, les résultats montrent que la décision d'orientation des conseils est avant tout émise sur la base de la compétence générale des enfants et nuancée par leurs compétences en mathématiques ainsi qu'en langues. Rappelons ici que les compétences linguistiques en
allemand sont liées aux compétences en mathématiques. Dans cette configuration, les taux de bon classement, c'est-à-dire les pourcentages d'élèves pour lesquels la décision d'orientation des conseils correspond aux décisions prédites sur la base des résultats des élèves aux épreuves standardisées, atteignent respectivement 74,9 %, 69,3 % et 67,6 % pour les élèves luxembourgeois, les élèves romanophones et les autres élèves. Les décisions émises finalement par les conseils d'orientation semblent correspondre aux résultats obtenus par les élèves aux épreuves externes puisque les proportions d'enfants orientés par les conseils vers une filière d'enseignement moins prestigieuse que ce qui est prédit sont quasiment équivalentes pour les élèves luxembourgeois et les élèves romanophones. Ainsi, 20,5 % des élèves romano-phones, 17,8 % des élèves luxembourgeois et 25,2 % des élèves étrangers sont orientés vers l'enseignement technique alors qu'une orientation dans l'enseignement secondaire classique est prédite par leurs résultats aux épreuves externes.
La seconde approche consiste à inclure dans les analyses non seulement les résultats des élèves aux épreuves externes mais aussi les notes de bulletin attribuées par les enseignants. Dans ces conditions, Martin (1998) montre que les décisions des conseils sont émises de manière prépondérante à partir des compétences générales des enfants et de leur compétence en allemand, la compétence en français n'intervenant pratiquement pas. L'analyse de Martin (1998) montre également que 31 % d'élèves romanophones sont orientés vers l'enseignement secondaire technique alors qu'une orientation vers le secondaire classique aurait pu être prédite à partir des notes de bulletin et à partir des résultats aux épreuves externes. Seulement 12,8 % d'élèves luxembourgeois et 4,3 % des élèves étrangers d'une autre nationalité sont dans pareille situation. Il semble donc bien qu'à aptitudes scolaires égales, les élèves romanophones soient plus facilement orientés vers le secondaire technique (au lieu du secondaire classique) que ce n'est le cas pour les enfants luxembourgeois ou d'une autre nationalité. En résumé, lorsque l'on tient compte des notes de bulletins, les discriminations entre les élèves luxembourgeois et romanophones augmentent, expliquant de la sorte la relégation des élèves romanophones vers les filières les moins nobles. Martin note à ce propos que les enseignants ont probablement tendance à évaluer l'aptitude générale transversale des élèves romanophones comme étant moins élevée que celle des enfants luxembourgeois, alors que ces résultats ne se confirment pas pour les scores issus des épreuves externes d'évaluation.
Conclusion et perspectives
La description du système éducatif présentée en introduction pourrait laisser croire que depuis 40 ans, rien n'a véritablement changé quant à l'école luxembourgeoise. Pourtant, les programmes scolaires, les méthodes d'enseignement, les pratiques d'évaluation, les élèves et les enseignants ont bel et bien changé. Les nombreuses réformes amorcées par les responsables politiques ont également contribué à modifier le paysage scolaire luxembourgeois mais il faut reconnaître qu'elles n'ont porté qu'indirectement sur les deux mécanismes de fonctionnement précédemment décrits... du moins jusqu'il y a peu. En effet, depuis les constats nationaux du PISA 2000 qui ont mis en lumière le faible niveau de compétence en lecture des élèves de 15 ans au Luxembourg et l'iniquité du système scolaire, on assiste à un changement de paradigme et à des réformes scolaires d'envergure accordant une attention de plus en plus marquée aux outputs du système et à l'autonomie grandissante des écoles.
Les premières tentatives de transformation menées entre 1989 et 2004 semblent commencer à porter leurs fruits, du moins sur le plan des convictions des enseignants puisque ceux-ci adhèrent de plus en plus à l'idée de l'évaluation formative défendue dans les prescrits officiels. Des efforts restent cependant à faire pour que, dans la pratique quotidienne, la fonction formative de l'évaluation prenne le pas sur les fonctions sommative et certificative. Par ailleurs, il faut reconnaître que l'instauration d'une procédure d'orientation alliant épreuves externes d'évaluation, évaluations de l'enseignant et avis concerté de plusieurs intervenants, tend à augmenter l'objectivité et l'équité de la démarche qui reste néanmoins perfectible. L'instauration des Socles de compétences, la modification des prescriptions officielles en matière d'évaluation et les dispositifs d'évaluation externe sont à considérer comme des impulsions en direction d'une école de meilleure qualité.
Actuellement, les politiques en matière d'évaluation des élèves évoluent et les efforts se concentrent sur la mise en place de processus d'évaluation qui concernent tant les apprentissages des élèves que le fonctionnement des écoles et des équipes éducatives. On évoquera trois exemples pour s'en convaincre :
1. les nouveaux outils d'évaluation imposés dans l'enseignement fondamental ;
2. la création d'une agence qualité visant le développement des écoles et l'efficacité de l'enseignement;
3. le recours au testing assisté par ordinateur (TAO).
Les nouveaux outils d'évaluation ont été introduits dans l'enseignement fondamental dès la rentrée scolaire 2009-2010 afin de s'adapter à la nouvelle organisation en cycles. Il s'agit des bilans intermédiaires du développement des compétences (actuellement seulement aux cycles 1 et 2) et du bilan de fin de cycle (cycles 1 à 4) qui sont accompagnés d'entretiens individuels avec les parents. Les bilans intermédiaires trimestriels interviennent en cours de cycle. Ils ont pour finalité d'illustrer, sans recourir à des notes, dans quelle mesure l'élève a développé les compétences visées et quelle progression s'impose pour atteindre les objectifs de fin de cycle. Le bilan de fin de cycle doit permettre de certifier les apprentissages réalisés et les compétences développées en cours de cycle. Ces bilans sont censés permettre à l'élève et aux parents de constater les progrès accomplis dans les différents domaines d'apprentissage. Les enseignants sont invités à utiliser ces bilans pour cerner les besoins individuels de chaque enfant et mieux cibler leurs mesures d'appui et d'enrichissement.
Au sein du ministère de l'Éducation, l'agence pour le développement de la qualité de l'enseignement a, quant à elle, pour missions principales d'accompagner les écoles primaires et secondaires dans l'analyse de l'évaluation de leur enseignement et de les aider dans l'élaboration d'un concept de qualité et d'un plan de réussite scolaire.
Quant aux épreuves nationales d'évaluation proposées dans le cadre du pilotage du système scolaire, on cherche à développer le testing assisté par ordinateur (TAO) qui présente l'avantage, en mathématiques ou en sciences, de permettre à l'élève de choisir, à tout moment de la passation, la langue12 qu'il préfère ou qu'il comprend le mieux en fonction de la tâche à réaliser. Ceci a pour effet de limiter autant que possible l'intervention du facteur langagier lorsqu'on désire mesurer les compétences mathématiques ou scientifiques des élèves.
Comme le montre l'exemple de la procédure d'orientation des élèves à 12 ans, les efforts en matière d'évaluation des acquis des élèves ne doivent pas seulement se faire en direction de nouveaux outils ou de procédures innovantes mais doivent également porter sur l'amélioration de l'existant. Au-delà de la promulgation de réformes, c'est l'efficacité et l'équité des changements amorcés qu'il s'agit d'analyser et de soutenir et on ne peut plaider ici que pour la mise en place d'un dispositif adéquat permettant l'accompagnement des changements majeurs qui s'opèrent actuellement au sein de l'école luxembourgeoise.
RÉFÉRENCES
Bamberg, M., Dickes, P., & Schaber, G. (1977). Étude MA GRIP. Premier Rapport de Synthèse. Walferdange : ISERP.
Burton, R., & Martin, R. (2008). L'orientation scolaire au Luxembourg : « Au-delà de l'égalité des chances ... le gâchis d'un potentiel humain». In R. Martin, C. Dierendonck, C. Meyers, & M. Noesen (éds). La place de l'école dans la société luxembourgeoise de demain. Vers de nouveaux modèles de fonctionnement du système éducatif (pp. 1-13). (Bruxelles : De Boeck.
de Landsheere, G. (1992). Dictionnaire de l'évaluation et de la recherche en éducation. Paris : Presses universitaires de France.
Dierendonck, C., & Zenner, F. (2005). Évaluation de l'efficacité des classes fonctionnant d'après le concept pédagogique Offener Untenicht au Grand-Duché de Luxembourg. Rapport de recherche non publié : SCRIPT.
Martin, R. (1998). Les épreuves standardisées en tant qu 'outil d'orientation lors du passage primaire post-primaire : méthodologie, validité et structuration cognitive émergente. Walferdange : ISERP.
Martin, R., Dierendonck, C., Meyers, C., & Noesen, M. (2008). La place de l'école dans la société luxembourgeoise de demain. Vers de nouveaux modèles de f onctionnement du système éducatif . Bruxelles : De Boeck.
Ministère de l'Éducation nationale (1964). Plan d'études pour les écoles primaires du Grand-Duché. In Courrier de l'éducation nationale, Numéro spécial : arrêté du 21 mai 1964 portant fixation du plan d'études pour les écoles primaires du Grand-Duché. Luxembourg.
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Mémorial du Grand-Duché de Luxembourg (1912). Loi du 10 août 1912 concernant l'organisation de l'enseignement primaire, n°61, 761-798.
Mémorial du Grand-Duché de Luxembourg (1922). Arrêté du 6 septembre 1922portant révision du plan d'études pour les écoles primaires du Grand-Duché, n°64, 953-1008.
Mémorial du Grand-Duché de Luxembourg (2005). Règlement grand-ducal du 14 juillet 2005 déterminant l'évaluation et la promotion des élèves de l'enseignement secondaire technique et de l'enseignement secondaire.
Mémorial du Grand-Duché de Luxembourg (2009). Loi du 6 février 2009 portant organisation de l'enseignement fondamental, Mémorial A, n°20, 200-215.
Organisation for economic cooperation and developement (2001). Knowledge and skills for life. First results from the OECD Programme for International Student Assessment (PISA) 2000.
1. Ces chiffres permettent de replacer dans leur contexte les échantillons apparemment de taille restreinte qui sont utilisés pour les études scientifiques au Luxembourg.
2. Le choix de la langue d'enseignement n'est cependant pas laissé aux enseignants. Des directives officielles stipulent quelle langue doit être utilisée en fonction de la discipline et du degré scolaire.
3. Les nationalités se répartissent comme suit : Luxembourgeois (60,2 %), Portugais (21,6 %), ex-Yougoslaves (4,8 %), Français (3,1 %), Italiens (2,6 %), Belges (1,2 %), Allemands (1,2 %), autres (4,8 %). Source : MENFP (2009).
4. Educational Measurement and Applied Cognitive Science.
5. MAGRIP est l'acronyme pour « matière grise perdue».
6. Le terme « devoir » est utilisé au Luxembourg pour désigner les travaux évalués qui reçoivent une note. Il y a donc des devoirs en classe (appelés simplement devoirs) et des devoirs à domicile.
7. Le « Plan d'études provisoire » n'a de provisoire que le nom puisqu'il restera le programme officiel de l'enseignement primaire jusqu'à la publication, en 2008, des Socles de compétences.
8. Programme international pour le suivi des acquis des élèves.
9. On regrettera qu'on ne profite pas encore de ces études nationales et internationales pour mettre en place un dispositif de suivi longitudinal. En effet, il serait intéressant de pouvoir mettre en relation différentes études internationales (PIRLS, PISA, etc.) et nationales (évaluations du passage primaire-secondaire, évaluations dans le cadre du monitoring, etc.) en rendant possible le suivi individuel des élèves. Par exemple, si PIRLS 2006 avait été proposé aux élèves de 4e année, comme ce fut le cas dans les autres pays, on aurait pu imaginer suivre la cohorte d'élèves fréquentant la 4e année d'étude en 2006 en récoltant des données à 9 ans (PIRLS 2006), à 12 ans (épreuve d'orientation) et à 15 ans (PISA 2012).
10. Progress in International Reading Literacy Study.
11. Au Luxembourg, on compte environ 2000 classes dans l'enseignement primaire. Source : MENFP (2009).
12. Rappelons que les élèves peuvent choisir la langue de l'épreuve (français ou allemand) mais que l'enseignement des mathématiques dans l'enseignement primaire est dispensé en allemand.
13. Allemand et français actuellement, mais on pourrait imaginer présenter également les items en langue portugaise.